Par Fernando Guirao.
Plus que quelques jours jusqu’au vote du 1er octobre. Voici le scénario écrit :
Le résultat sera majoritairement en faveur de l’indépendance de la Catalogne. Il est probable que par la suite, la Generalitat de Catalunya proclame la Catalogne comme étant une République en sécession du Royaume d’Espagne. Cette déclaration sera justifiée par l’argument que le peuple catalan forme une nation avec ses institutions propres depuis le XIVè siècle (« droit historique »), par les attaques continues contre l’autonomie des institutions catalanes portées par le gouvernement de l’État central (« iusta causa »), et par le blocage du gouvernement espagnol à canaliser le désir légitime d’autogouvernement du peuple de Catalogne à travers une modalité de « sécession démocratique » à la Québécoise.
La tenue d’un référendum d’autodétermination et la déclaration unilatérale d’indépendance d’une région d’un Etat membre de l’Union européenne – une Etat considéré comme véritablement démocratique par la communauté internationale – sont des faits politiques sans précédents historiques valables qui pourraient nous servir de guide pour la suite. Nous serons, littéralement, en terre inconnue !
Paradoxalement, le processus d’indépendance de ce pays démocratique qui s’appelle la Catalogne se produit avec un mépris pour les règles démocratiques les plus essentielles. Il y a beaucoup de personnes en Catalogne qui avancent aujourd’hui que la désobéissance politique et la rébellion légale constituent des instruments légitimes en défense des valeurs démocratiques « dans des moments d’exception ». C’est discutable.
Encore plus lamentable est, à mon avis, le fait que ceux qui ne représentent que 47,8 % des suffrages exprimés lors des dernières élections dotées de garanties démocratiques pleines et entières se soient approprié la représentation « du peuple de la Catalogne ». C’est le 3 août 2015 qu’Artur Mas, alors président de la Generalitat de Catalunya, après avoir convoqué en format plébiscitaire (« nous voulons voter ») les élections législatives régionales qui sont à l’origine de l’actuelle majorité parlementaire en Catalogne, a annoncé que les résultats qui comptaient se mesuraient en sièges et non pas en nombre de votes exprimés ! Le principe sacré de tout référendum en démocratie directe (« une personne, une vote ») a ainsi été sacrifié pour atteindre l’objectif politique visé à court terme. Autrement dit : La fin a justifié les moyens !
Si une démocratie de haute qualité est celle qui empêche les tricheries et combines, la démocratie souveraine Catalane aura été empoisonnée avant sa naissance. Une majorité parlementaire formée par une conjonction de forces politiques radicalement différentes mais liés par le seul objectif d’atteindre la République s’est arrogé un ‘mandat démocratique’ pour subvertir l’ordre constitutionnel. Et pour ce faire, elle utilise les pouvoirs législatifs et les ressources matérielles dont elle dispose en fait grâce à la Constitution espagnole ! Cette subversion comprend la légalité constitutionnelle Espagnole et même la légalité statutaire Catalane.
Pour l’Espagne, la déclaration unilatérale d’indépendance impliquera la fin du statu quo. S’ensuivra très probablement l’avènement de l’autonomie de la Catalogne, mais cette situation sera insoutenable pour le pays au-delà d’une période courte. Une modification de la Constitution espagnole rendant possible une procédure de consultation sur le principe de l’autodétermination, avec le consentement des « Cortes Espagnoles », une fois certaines conditions de représentativité de la part des futurs postulants acquises, semble inévitable.
Entre-temps, il faudra s’employer à séduire à nouveau de nombreux Catalans. Il conviendra d’améliorer de manière significative la maison commune à travers une véritable régénération administrative et pédagogique, ainsi que des réformes ambitieuses dans pratiquement tous les domaines. Il faudra répondre aux demandes légitimes de millions de citoyens catalans, pas dans leur qualité de Catalans, mais en tant que citoyens, justement. La citoyenneté, c’est cette condition précieuse qui provient de la Constitution espagnole et de notre appartenance à l’Union européenne, qui constitue notre cadre de garanties en dernière instance. Les citoyens qui vivent en Catalogne ont besoin de voir blindées les compétences des pouvoirs régionaux sur l’éducation, la langue et la culture, de voir réduit le grave déficit des infrastructures basiques, d’obtenir une pleine capacité de collection d’impôts avec des limites clairement définies pour les transferts entre régions et Etat, suivant le modèle constitutionnel actuellement en vigueur au Pays Basque et en Navarre. Un pays aussi pluriel comme l’Espagne exige une répartition plus équitable des organismes de l’État sur l’ensemble de son territoire, mais aussi un changement radical de l’attitude du système politique espagnol envers la pluralité.
Tout d’abord, il faut intérioriser que l’autonomie implique de casser l’uniformité sans briser pour autant le principe de l’égalité : tous les citoyens espagnols ont les mêmes droits fondamentaux, mais ils peuvent les atteindre par des voies et des mécanismes différents, en accord avec leurs préférences. Deuxièmement, le système institutionnel espagnol a besoin d’intérioriser enfin un véritable respect pour la diversité culturelle existant en son sein et de normaliser l’utilisation d’autres langues que l’Espagnol castillan dans les institutions de représentation collective, les tribunaux et la télévision publique.
La promotion institutionnelle d’une telle diversité sera le devoir de l’Etat dans tous ses domaines. Si un certain niveau des connaissances basiques des langues Catalan, Basque et Galicien faisait partie du curriculum partagé par le système scolaire espagnol, tous les citoyens espagnols apprendraient que leur pays est pluriel et grandiraient enrichis par une telle diversité linguistique et culturelle. Même l’accessibilité des chaines publiques des télévisions régionales dans l’ensemble de l’État encouragerait cette appréciation.
Seule une vraie régénération de l’Etat, comprenant une réforme constitutionnelle majeure, créerait une opportunité d’inventer un nouveau cadre de coexistence entre l’Espagne et les nations qui la composent. Le défi Catalan représente l’échec de l’Espagne comme projet politique partagé par 46 millions d’Espagnols, mais le défi Catalan représente également (un peu comme le Brexit) l’échec d’un certain projet européen qui n’a pas réussi à rendre évidente aux yeux de tous la valeur de la souveraineté partagée.
Fernando Guirao est historien.
Il est professeur Jean Monnet à l’Université Pompeu Fabra de Barcelone.