Deuxième billet de la deuxième série des “Mails d’Europe” : fin mai et début juin, les échéances électorales se téléscopent: des scrutins régionaux à haute tension en Espagne et en Italie seront suivie des élections parlementaires en Turquie. L’EU-Asia Institute a invité des experts originaires des pays concernés à nous expliquer les enjeux propres à chaque pays.
Aujourd’hui: Ramon Llopis-Goig, sociologue à l’Université de Valence, sur les élections régionales en Espagne qui se tiennent aujourd’hui.
L’ascension de Podemos a été ultra-rapide : quatre mois seulement après sa fondation début 2014, le parti obtint d’emblée 5 sièges de députés au Parlement Européen. Lorsqu’en Janvier 2015, des sondages le plaçaient en tête des intentions de vote, son leader, Pablo Iglesias, jeune professeur de sciences politiques madrilène, proclama la fin du bipartisme en Espagne.
Il y allait peut-être un peu vite en besogne. Une enquête récente annonce que les deux grands partis, le PP (droite) et le PSOE (gauche) ont récupéré les premières places, se partageant toujours environ 50% du vote. Néanmoins, l’émergence de Podemos reste spectaculaire. Elle coïncidait avec l’explosion, à travers la société espagnole, d’une indignation profonde nourrie par plusieurs phénomènes : la crise économique, la faillite politique d’un parti socialiste usé par le pouvoir, des scandales de corruption à répétition dans les deux grands partis, et l’incapacité des alternatives existantes de capitaliser sur le ras-le-bol du peuple.
Aujourd’hui, cependant, le redressement économique se dessine, les socialistes ont renouvelé leur personnel politique, et l’avènement de Ciudadanos change la donne. Podemos ne domine plus le débat politique, et il est même possible que le parti finisse par se marginaliser, tourmenté par son radicalisme idéologique, éclaboussé par ses rapports douteux avec le Venezuela de Chavez, et miné par ses premières divisions internes suite à la démission de l’un de ses fondateurs.
Et pendant que Podemos s’essouffle un peu, Ciudadanos commence à s’imposer. Ce parti créé il y a dix ans à Barcelone, en réponse au nationalisme catalan, par un groupe d’intellectuels issus de l’université et du monde de l’entreprise, a consolidé ses ambitions sur le plan national par un programme réformiste fort et crédible. Ces derniers mois, ses propositions ont séduit la classe moyenne, fatigués de la corruption et des privilèges des élites, mais loin de l’extrémisme de Podemos. Ciudadanos entend moderniser les institutions, donner plus de pouvoir à la société civile et soutenir efficacement les entreprises. Il compte y parvenir en réformant la fiscalité, de l’éducation et du marché du travail (réformes qui ont l’avantage d’être compatibles avec les exigences de l’Union européenne).
Ceci dit, le succès remarquable de Ciudadanos (avec des intentions de vote autour de 14%) n’est pas sans risque. Après des mois de surexposition médiatique, son leader, Albert Rivera – un Catalan de 35 ans qui est le politique le plus apprécié du pays selon les sondages – a déjà dû rectifier quelques erreurs de communication.
Le vrai test pour Ciudadanos et Podemos ne sont pas tant les élections régionales elles-mêmes, mais leur réponse aux résultats de ce scrutin. Si ces deux partis mettent effectivement fin au bipartisme dans les assemblées régionales, ils ne pourront plus rester dans leur « zone de confort » de l’opposition indignée, mais devront mettre la main au cambouis. Ils seront amenés à prendre des décisions, faire des compromis, décevoir certains de leurs électeurs. On saura assez vite s’ils sont capables de traduire dans les actes ce qu’ils ont toujours promis : un gouvernement irréprochable.
Aller aux Mails d’Europe précédénts.
Ramon Llopis-Goig est un fin connaisseur des évolutions de la société espagnole.
Après une première carrière dans les études de marché et de consommation,
il a rejoint le monde académique en tant qu’expert en méthodes quantitatives.
Ce printemps, il publie l’ouvrage Spanish Football and Social Change chez
l’éditeur britannique Palgrave-Macmillan.