Une soutenance de doctorat est toujours plus qu’un important examen académique. C’est aussi la conclusion d’un effort, déployé pendant plusieurs années, pour venir à bout d’un projet de recherche exigeant. Dans le cas de la thèse d’Ilker Gündoğan, « La politique du football en République Populaire de Chine : changements institutionnels et régulations politiques sous Xi Jinping 2012-2021 » – rédigée sous la co-tutelle de Jörn-Carsten Gottwald, titulaire de la chaire East Asian Studies à l’Université de la Ruhr et Albrecht Sonntag, professeur à l’EU*Asia Institute de l’ESSCA – le chemin avait été particulièrement difficile.
Entre les débuts de cette thèse et son achèvement, le 16 janvier 2023 à Bochum, tout a été plus compliqué que prévu, non seulement en raison de l’irruption brutale de la pandémie du COVID-19, mais aussi par les évolutions significatives de ses deux sujets principaux.
D’un côté, il n’est pas exagéré de dire qu’en 2023, la République Populaire de Chine n’est plus la même qu’il y a cinq ans. Il y a eu un endurcissement incontestable, à la fois sur le plan dogmatique, dans le culte du leader, dans le discours diplomatique, dans la censure médiatique, du contrôle social et des mécanismes de surveillance.
Et de l’autre côté, le football, ce sport emblématique mondial, ses multiples significations socio-culturelles et politiques et son empreinte économique, arrivent au bout de la logique d’une métamorphose enclenchée depuis trois décennies déjà. Jamais ce jeu n’a été aussi politisé qu’aujourd’hui, on l’a vu lors de la Coupe du monde au Qatar.
En Chine, le football a fait l’objet de toute une série de programmes de réforme de grande envergure, lancées successivement par le Parti à partir de 2014, sous l’impulsion explicite de Xi Jinping, au pouvoir depuis 2012. Tout portait à croire qu’on assisterait à un développement sans précédent du football à la fois en tant qu’activité économique et pratique sportive.
Comme le montre d’Ilker Gündoğan, dans sa recherche méticuleuse sur un sujet innovant, les choses ne se sont pas passées comme prévu. En fait, la politique du football s’est avérée remarquablement révélatrice des changements de priorités, de style de gouvernance, et de discours officiel survenus sous le mandat de Xi Jinping.
Fondée sur un cadre conceptuel robuste ancré notamment dans la science politique et la théorie de la gouvernance, la thèse s’appuie aussi sur les excellentes compétences linguistiques de l’auteur qui s’avèrent particulièrement bénéfiques dans l’analyse détaillée du discours politique et médiatique autour des quatre grandes études de cas qui composent la partie empirique. Enrichies par un nombre significatif d’interviews d’experts, ces études de cas traitent à la fois des dimensions économiques et diplomatiques du football chinois et des comportements contradictoires qu’il suscite, que ce soit dans un nationalisme effréné ou dans le scepticisme pragmatique des parents envers ce sport présenté comme outil d’avancement social pour leur enfants.
La dissertation permet ainsi de mieux comprendre les dichotomies fondamentales dans la gouvernance du Parti Communiste Chinois : le centre vs la province, le dirigisme vertical vs l’adaptation locale, les enjeux domestiques vs la politique étrangère. Elle illustre la capacité de l’Etat central d’imposer ses orientations et en même temps ses limites ; et elle démontre que le football est un champ de recherche pertinent dans la Chine contemporaine, qui mobilise des acteurs nationaux et internationaux, impacte des intérêts sociétaux et économiques, et touche à des enjeux administratives et idéologiques.
Comme toutes les thèses de doctorat qui ont le courage de traverser les disciplines académiques, le travail d’Ilker Gündoğan a fait l’objet d’une soutenance intense donnant lieu à des expertises croisées. Mais aussi à un jugement unanime : celui de l’excellence académique, qui a valu au doctorant la note maximale de « summa cum laude ». L’EU*Asia Institute peut se féliciter d’avoir accompagné cette dissertation de grande qualité et de compter son auteur parmi ses membres.