Je suis né au sein d’une entreprise familiale, à la 8ème génération. C’était donc le menu à chaque repas (dominical compris), entrée, plat, dessert : l’entreprise familiale.
C’est une imprégnation, une éducation pour être digne de ce que représente l’entreprise au sein de la famille et de la communauté locale. Cela peut paraître lourd, mais c’est tellement captivant de ressentir la passion de nos aînés. Comme si in fine nous étions déjà intégrés dans le cycle, préparés pour ce devenir.
Nous sommes portés par nos aînés et par leur savoir-faire. Parfois on s’y refuse en première intention, mais on peut y revenir, ou pas… le syndrome œdipien à l’œuvre ! J’ai d’abord orienté mes études sans rapport à la famille, puis l’œuvre familiale m’a rappelé. J’ai vécu une grande partie de mon expérience professionnelle en entreprises familiales de 50 personnes jusqu’à des groupes internationaux qui pouvaient compter plusieurs milliers de salariés dans des secteurs périphériques au contexte familiale. Instinctivement on se demande : qu’est-ce que l’on peut apporter à la famille, quelle est notre valeur ajoutée personnelle ? C’est ce qui initie nos choix d’études de manière inconsciente. On recherche la légitimité, on a besoin de monter en compétences sur ces valeurs ajoutées en dehors de l’entreprise pour pouvoir les rapporter ensuite à la famille. C’est ce que j’ai fait.
Cette démarche est aussi là pour satisfaire le bien commun familial. Par extrapolation, l’entreprise familiale agit pour le bien commun. Une entreprise c’est des parties prenantes, des salaires versés aux employés, j’ai toujours considéré qu’une entreprise familiale avait une mission vis-à-vis de ses salariés, de la famille, de l’environnement local et au-delà. Interne à l’entreprise, les salaires versés couvrent les besoins familiaux et donc aussi parfois des études des enfants. Et ces enfants auront peut-être aussi envie de travailler pour l’entreprise familiale, qui sait ? Ce fut le cas chez nous… C’est comme si un autre système familial s’intégrait pour nourrir le premier.
Les générations d’avant ne parlaient pas de parties prenantes, mais ils parlaient déjà des gens qui sont avec nous, qui vivent avec nous : la commune où l’entreprise est implantée compris. En plus des taxes versées, ils s’impliquaient dans les patronages, le sport, et d’autres activités. Aujourd’hui on parle de mécénat et de sponsoring, les termes changent mais l’intention reste.
Quand on fait partie d’une nouvelle génération qui arrive/émergente, on a besoin de se sentir légitime soi-même. Pour cela il est nécessaire d’être accompagné, de construire notre socle personnel pour apporter notre pierre à l’édifice familial. Ce n’est pas toujours le cas et les conséquences peuvent être compliquées, voir rédhibitoires si cela n’est pas fait avant, pendant et durant le cycle complet d’une génération.
Parce que le but suprême de l’organisation, l’entreprise plus encore que les individus, c’est qu’elle se survive toujours à elle-même.
Je suis non seulement intéressé mais aussi impliqué dans le bien commun parce que c’est ce que représente, à mon sens, le système des entreprises familiales. Peter Drucker expliquait que la profitabilité n’est pas l’objectif premier de l’entreprise mais bien la satisfaction des clients. Et que la profitabilité en est la conséquence directe.
Je préciserais que c’est la satisfaction de l’ensemble des parties prenantes, qui pourrait être appelé aussi « bien commun », qui favorise mieux encore la profitabilité des entreprises familiales. Ce qui implique aussi pour moi le concept de codétermination que j’ai eu la chance de pouvoir appliquer dans une expérience au sein d’un groupe familial œuvrant sur les marchés internationaux.