Comment l’éthique individuelle doit-elle être prise en compte dans le recrutement des employés du secteur financier ? Faut-il tester la capacité des candidats à se conformer aux règles éthiques institutionnelles qui s’imposeront à eux dans l’exercice de leur profession? Ou plutôt vérifier qu’ils possèdent les vertus morales appropriées qui leur permettront d’agir de façon éthique ? Les deux perspectives divergent fondamentalement. Cependant la seconde s’avère plus féconde.
Le contexte créé par la crise économique actuelle a des conséquences sur la manière de concevoir l’éthique financière. Dans la mesure où cette crise majeure a un caractère systémique, la réflexion morale tend à se situer à un niveau institutionnel plutôt qu’individuel. Il y a à cela, semble-t-il, une raison évidente : même animé par de bonnes intentions, un employé qui travaille dans la finance ne peut, seul, s’opposer aux dérives du système. C’est donc le système financier dans son ensemble qui a besoin de régulation morale. L’éthique individuelle ne vient qu’au deuxième rang. Elle est alors conçue comme la capacité à se conformer aux règles édictées par les autorités de régulation et par les établissements financiers. Mais si cette description est exacte, on peut se demander comment l’éthique individuelle devrait être prise en compte dans le recrutement des employés du secteur financier. Car la seule vérification (au demeurant partielle) de la capacité des candidats à se conformer à un système de règles éthiques semble insuffisante.
Il va de soi que les employés de la finance – comme tous les salariés – doivent se conformer à des principes éthiques dans l’exercice de leur profession. Le respect des contrats, l’intégrité, l’honnêteté et le fait d’être digne de confiance figurent dans les principes d’action communs à tous les financiers. Certains principes éthiques sont toutefois plus spécifiques. Ainsi John Boatright, spécialiste de l’éthique financière, propose de distinguer trois catégories (1). Dans les services financiers, l’accent est mis sur le devoir d’agir dans l’intérêt du client ainsi que sur la véracité et l’absence de conflits d’intérêt. Dans les activités de marché, ce sont plutôt l’exactitude, l’équité et le devoir de ne pas utiliser une information à son profit ou au profit de son organisation qui sont soulignés. Dans la finance d’entreprise, il s’agit de la gestion prudente des actifs de la firme et de la recherche d’un équilibre dans la prise en compte des intérêts des parties prenantes.
Qu’en est-il au stade du recrutement ? Si l’on s’en tient à une conception de l’éthique individuelle comme capacité à se conformer à des principes, il semble qu’on ne puisse disposer au mieux que d’une assurance raisonnable sur l’engagement effectif d’un candidat envers l’éthique. Même si ce candidat déclare être soucieux de se conformer aux règles, il est impossible d’affirmer qu’il les respectera effectivement dans toutes les situations auxquelles il sera confronté dans sa future pratique professionnelle.
Plus fructueuse apparemment est la démarche consistant à évaluer le caractère vertueux des candidats. Après tout, une personne vertueuse (intègre, honnête, loyale, courageuse…) devrait être capable non seulement de se conformer aux règles éthiques, mais aussi d’agir moralement dans les situations ambiguës où les règles ne s’appliquent pas directement. Un recruteur en finance peut ainsi chercher à savoir (jusqu’à un certain degré) si les candidats possèdent les vertus morales appropriées à l’exercice de leur future profession.
Cette approche centrée sur les vertus a été spécifiquement étudiée dans le cas des auditeurs comptables. Theresa Libby et Linda Thorne, deux spécialistes américaines du domaine, ont ainsi cherché à catégoriser et à mesurer les vertus que les auditeurs sont censés exercer dans la formulation de leur jugement sur les comptes des entreprises qu’ils contrôlent.
Selon leur conception, issue de la philosophie morale, les vertus sont des qualités du caractère « qui reflètent la tendance d’un individu à agir de façon éthique et à réaliser ainsi les idéaux de la communauté à laquelle il appartient » (2). L’idée sous-jacente est qu’il existe un lien robuste entre le caractère et la moralité du jugement et de l’action. Il faut cependant distinguer, selon Libby et Thorne, les vertus qui reflètent le caractère intrinsèquement bon d’une personne et celles qui lui permettent d’agir de façon éthique dès lors qu’elle en a l’intention. Les premières vertus (« intellectuelles » ou « non instrumentales ») ont un lien indirect avec le fait d’agir moralement. Les secondes vertus (« instrumentales ») ont un effet direct sur l’action morale (3).
L’étude de Libby et Thorne a révélé que les auditeurs accordent beaucoup d’importance à la véracité, l’indépendance, l’objectivité et l’intégrité. D’autres vertus, telles que l’intérêt pour le bien public, le tact et le fait d’avoir un contact agréable sont relativement moins bien classées par les répondants. Pour Libby et Thorne, cela signifie que « l’honnêteté du caractère est fondamentale pour que l’auditeur ait l’intention d’agir en accord avec son jugement professionnel idéal », alors que « la possession de qualités agréables n’est pas essentiel pour que l’auditeur remplisse son rôle » (4). Par ailleurs, Libby et Thorne ont constaté que l’intérêt pour le bien public, l’altruisme ou la bienveillance ont, du point de vue des auditeurs, un caractère non obligatoire, contrairement à la possession des vertus de véracité, d’indépendance, d’objectivité et d’intégrité. Quant aux vertus instrumentales, qui permettent de passer de l’intention morale à l’action morale, la diligence, la vigilance et la prudence apparaissent comme les qualités essentielles alors que la capacité à traiter de situations inhabituelles, l’aptitude à coopérer et le courage sont jugés moins importants.
Posséder une vertu confère la capacité à agir de façon morale en dépit des pressions qui peuvent être exercées sur le décideur. Cette capacité de résistance correspond aux croyances ordinaires sur ce que l’on attend d’une personne vertueuse. Une telle personne n’a rien à voir avec un conformiste ou un opportuniste – c’est-à-dire un individu susceptible d’adapter sa moralité en fonction des circonstances ou du climat éthique de son entreprise. Au contraire, elle est capable de résister aux pressions (qu’elles prennent la forme d’objectifs à réaliser, de sanctions ou de menaces) parce qu’elle est vertueuse et que la possession de vertus lui permet de comprendre, pour reprendre les mots de Libby et Thorne, les idéaux éthiques de sa communauté de référence.
Comment de telles considérations peuvent-elles contribuer à décrire ce que serait un recrutement éthique dans le domaine financier ? D’abord, un recrutement éthique en finance implique d’identifier les idéaux de la communauté financière de référence. Il s’agit d’une tâche difficile car ces idéaux ne dépendent pas seulement des caractéristiques morales des métiers de la finance que Boatright, par exemple, mettait en évidence. Elles dépendent aussi des attentes de la société (c’est-à-dire de la société civile, de la « communauté internationale », des responsables politiques, des régulateurs, etc.). Aujourd’hui, ces attentes incluent un souci authentique pour le bien public qui devrait par conséquent faire l’objet d’une évaluation au moment du recrutement.
En second lieu, un recrutement éthique dans la finance suppose d’identifier au préalable les vertus que devrait posséder un candidat. La liste de ces vertus permet d’évaluer l’importance qu’il accorde aux qualités morales propres à son futur métier. Une telle évaluation pourrait reposer sur la manière dont ce candidat traite de scénarios décrivant des situations problématiques – des scénarios où certaines vertus devraient s’exercer en dépit des pressions de l’environnement.
Enfin, le recrutement éthique dans la finance devrait évaluer l’intérêt du candidat pour le développement de ses propres vertus morales dans le cadre de sa profession future. Ce développement suppose une pratique constante fondée sur la réflexion, la recherche d’exemples pertinents, le fait de cultiver de bonnes habitudes. Le mot clé est ici la « constance » car, comme tout professionnel, un candidat devrait considérer que l’éthique de son métier ne se limite pas à des moments exceptionnels ou à des dilemmes moraux mais qu’il concerne tous les moments de sa future pratique. En cela l’éthique professionnelle est particulièrement exigeante. Elle demande un effort permanent de perception, de réflexion, de préparation à l’action et de courage moral. La capacité et la motivation d’un candidat à apprendre à consentir un tel effort devraient être évaluées à l’occasion de tout recrutement dans la finance. (5)
Alain Anquetil
(1) J.R. Boatright, « Finance ethics », dans Frederick (éd.), A Companion to Business Ethics, Oxford UK, Blackwell Publishing, éd. 2002, p. 153-163.
(2) T. Libby et L. Thorne, « The development of a measure of auditors’ virtue », Journal of Business Ethics, 2007, 71, p. 89-99.
(3) Dans leur article de 2007, Libby et Thorne se concentrent sur 23 vertus non instrumentales et 8 vertus instrumentales.
(4) T. Libby et L. Thorne, « Virtous auditors », CA magazine, nov. 2003, p. 45-47.
(5) Cet article a été publié le 2 mars 2012 sur le site eFinancialCarreers.