Article initialement paru sur The Conversation.
Auteurs : Cédrine Zumbo-Lebrument, Arnaud Rivière, Gaëlle Pantin-Sohier, Sihem Dekhili, Emna Cherif, Christine Lambey-Checchin et Camille Lebossé
La vague inflationniste que nous avons connue a placé la consommation responsable à un tournant critique. Récemment, Emily Mayer, directrice des études à l’institut Circana, a souligné des tensions palpables entre les aspirations responsables des consommateurs et leurs contraintes financières croissantes : Comment continuer à consommer de manière responsable quand la pression économique s’intensifie ?
Dans ce contexte, les ménages français ont répondu aux hausses de prix par deux stratégies principales : acheter moins cher et acheter moins. La descente en gamme des produits de grande consommation se confirme. Le choix des marques de distributeurs, moins chères, a progressé quand les achats de produits labellisés « bien consommer » ont diminué. Les ventes de produits biologiques et locaux sont également en baisse. Est-ce suffisant pour conclure que les consommateurs abandonnent rapidement les modes de consommation vertueux ?
La consommation responsable ne peut être pleinement comprise sans intégrer une dimension territoriale. Le territoire, en tant qu’espace physique, social et culturel, influence profondément les comportements de consommation et les stratégies adoptées par les consommateurs et les entreprises. Cette question a animé la journée de recherche « Marketing et Territoires » au laboratoire CleRMa. Ont été mises en avant des pistes pour répondre à cet enjeu, mais aussi certaines barrières, autres que financières. Il incombe aux marques de saisir ces opportunités.
Manger autrement ?
« Coléoptères, vers, chenilles, sauterelles… ça se mange et c’est bon pour la planète »
Tel est ce qu’avance Gaëlle Pantin-Sohier, Professeure des universités à l’Université d’Angers. La chaire « Avantage et acceptabilité des protéines alternatives » fait collaborer des chercheurs en sciences des aliments et en comportement du consommateur pour comprendre et valoriser ces aliments auprès des consommateurs. Les stratégies incluent les éléments visuels et informationnels du packaging, des incitations douces (« des nudges ») ou des opérations de sensibilisation.4
Les études menées auprès de différentes cibles (enfants, adolescents, adultes et seniors), visent à comprendre les freins et motivations à l’adoption de ces alternatives, ainsi qu’à mesurer les influences interindividuelles et la pression normative au sein des familles ou des groupes de pairs. La préoccupation environnementale incite de nombreux consommateurs à envisager les protéines alternatives, mais cette transition est souvent freinée par un manque de connaissance et un accès limité à ces produits.
Pour y répondre, des ateliers de cuisine et des dégustations organisés pour les adultes ont, par exemple, montré leur efficacité pour installer l’idée qu’il est possible d’intégrer ces alternatives de manière appétissante et variée dans une alimentation quotidienne, et aider à surmonter les réticences initiales. Des campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux visant les adolescents mettent en avant les avantages environnementaux des protéines alternatives et offrent des informations sur où et comment les acheter, aidant à combler les lacunes en matière de connaissance et d’accès.
Reste que le coût des protéines alternatives peut être un obstacle. Elles nécessitent souvent des procédés de production spécifiques et des innovations technologiques qui augmentent significativement leur prix de vente. De plus, ces produits ne bénéficient pas encore des mêmes économies d’échelle que les protéines animales traditionnelles.
Le « manger autrement » n’est ainsi pas toujours chose évidente. Les consommateurs doivent être convaincus que ces alternatives ne sont pas seulement bénéfiques pour l’environnement, mais aussi pour leur santé et leur bien-être économique à long terme afin que le prix des produits corresponde à la valeur qu’ils en perçoivent. Pour ce faire, des campagnes de sensibilisation devraient donc mettre l’accent sur ces avantages multifacettes, en soulignant par exemple les économies potentielles sur les frais de santé grâce à une alimentation plus saine.
Réutiliser, recycler, réduire
Les marques doivent les y aider en adoptant une approche circulaire intégrant réutilisation, recyclage et réduction. Ce serait une manière de créer de la valeur auprès des consommateurs. Arnaud Rivière, Professeur des Universités à l’Université de Tours, et Camille Lebossé, doctorante en sciences de gestion, cherchent à mieux comprendre les comportements post-usage des consommateurs.
Dans une étude qualitative menée dans le secteur textile auprès de 25 consommateurs, leurs travaux identifient différentes sources de valeur. Il y a celles liées à la valeur résiduelle perçue résidant dans le produit lui-même. Alice l’exprime ainsi :
« Je donne pour ne pas jeter, parce qu’il y a des vêtements que je n’aime plus mais qui ne sont pas encore usés »
On retrouve aussi celles liées à la valeur perçue accordée à la pratique du don. Romane y associe des idéaux environnementaux et citoyens :
« Je me dis que ça va servir pour des gens qui sont dans le besoin et qui ne peuvent pas s’acheter ce genre de choses. »
Revendre, c’est même plus que cela pour Appolin :
« C’était une véritable activité de plaisir ! »
Analyser ces sources de valeur permet de mieux comprendre l’adoption de comportements écoresponsables et les arbitrages entre différentes options. Pour mieux les orienter. Des marques comme Patagonia ou Picture Clothing Outdoor ont réussi à intégrer cette approche en encourageant les consommateurs à réparer et réutiliser leurs vêtements au lieu de les remplacer. Il en va de même pour les programmes de reprise avec des incitations financières, comme ceux d’Ikea et H&M qui encouragent les consommateurs à participer activement au recyclage. En combinant ces initiatives avec des efforts éducatifs et communautaires, les entreprises peuvent transformer les perceptions des consommateurs et favoriser une consommation plus responsable et circulaire.
La piste de l’engagement des marques : une nécessité !
Au-delà du recyclage, les marques peuvent agir à plusieurs niveaux. En réinterprétant les approches et outils marketing, Sihem Dekhili, Directrice de recherche à l’ESSCA, propose des pistes pour garantir une valeur durable malgré les pressions financières. Une nouvelle approche du cycle de vie du produit semble indispensable pour considérer les impacts non seulement lors de la fabrication, mais aussi pendant les phases d’usage et de fin de vie du produit.
Au niveau de la communication, la promesse doit être exacte, proportionnée et vérifiable. Des campagnes de communication sobres, comme celle de l’Ademe et du ministère de la Transition écologique sur le « dévendeur », diffusent des imaginaires positifs autour de la durabilité et permettent de faire évoluer les mentalités et comportements. Cette campagne, réalisée de manière écoresponsable, invite les consommateurs à questionner leurs besoins réels.
Enfin, la distribution via le choice editing doit pouvoir écarter du marché les offres les plus polluantes. Le prix proposé doit retrouver sa signification en intégrant la notion de justice : rémunération juste des acteurs, prise en compte des coûts environnementaux et sociaux, et honnêteté et transparence auprès des consommateurs.
Les offres alternatives, le marketing durable et les stratégies post-usage ne sont pas de simples concepts académiques mais de véritables leviers d’action pour redéfinir la consommation de demain. Intégrer la notion de territoire dans ces réflexions permet de mieux comprendre et répondre aux aspirations des consommateurs tout en tenant compte des spécificités locales. Les consommateurs, bien que contraints financièrement, peuvent adopter des pratiques plus responsables, à condition que les marques les accompagnent avec des solutions innovantes et accessibles. Les travaux académiques dans ce domaine fournissent des bases solides pour orienter ces changements nécessaires.