L’intelligence artificielle (IA) est parfois présentée comme la solution miracle qui permettra de relever les défis du développement durable. Les professionnels du secteur n’en sont pas si certains. Notre enquête récente menée auprès de plus de 400 responsables informatiques en France et au Royaume-Uni, dont les résultats ont été présentés au Sénat, révèle un paysage contrasté.
Le baromètre « IA et Entreprises », qui est issu de cette enquête, montre certes que les entreprises sont globalement optimistes. 54 % des répondants estiment que l’IA a un impact positif en matière de développement durable. Les domaines d’application les plus cités sont la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la gestion des déchets et l’optimisation de la chaîne d’approvisionnement.
Les perceptions varient néanmoins beaucoup selon les domaines. Parmi les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, la santé, l’éducation, l’énergie et l’industrie sont perçus comme les secteurs où l’IA pourrait avoir l’impact le plus significatif. Dans la santé, elle est vue comme un outil prometteur pour améliorer les diagnostics et personnaliser les traitements. En éducation, elle pourrait permettre un apprentissage plus adapté aux besoins individuels. Pour l’énergie, la technologie est considérée comme un moyen d’optimiser la production et la distribution d’énergies renouvelables. Dans l’industrie, elle est perçue comme un levier pour développer des processus plus durables.
Cependant, le baromètre « IA et Entreprises » met aussi en lumière des angles morts. Certains ODD, comme la préservation de la vie aquatique et terrestre, sont rarement cités comme domaines d’application. Une approche plus globale serait-elle possible ?
Des entreprises insuffisamment averties
Dans les faits, seuls 36 % des entreprises suivent la consommation d’énergie de leurs systèmes d’IA. Plus préoccupant encore, à peine 29 % mesurent leurs émissions nettes de gaz à effet de serre liées à l’IA. Ce décalage entre les ambitions affichées et la réalité des pratiques soulève de nombreuses inquiétudes. Il se traduit souvent par des performances environnementales décevantes. Le cas de Microsoft est emblématique. Alors que l’entreprise s’était engagée en 2020 à réduire de moitié ses émissions de CO2 d’ici 2030, son rapport de durabilité 2024 révèle que ses émissions indirectes de gaz à effet de serre ont augmenté de 30,9 % par rapport à 2020. Cette augmentation est principalement due à l’expansion des centres de données nécessaires pour soutenir les technologies IA.
Les entreprises font en outre face à des défis éthiques importants. Seuls 28 % disposent d’outils pour détecter ou résoudre les problèmes éthiques liés à l’IA. 18 % ont déjà dû arrêter ou ajuster un projet d’IA pour des raisons éthiques.
Les principales préoccupations concernent la confidentialité des données, la transparence des décisions des modèles et l’impact social. Ces enjeux sont particulièrement importants lorsqu’il s’agit d’utiliser les algorithmes pour des objectifs de développement durable, qui impliquent souvent des données sensibles et des décisions ayant un impact significatif sur les populations. C’est le cas, par exemple, de l’utilisation de l’IA pour optimiser la consommation d’énergie dans les villes intelligentes.
L’étude souligne également un manque criant de formation, sur des aspects techniques mais aussi sur les implications éthiques, sociales et environnementales de l’IA. Actuellement, seuls 30 % des entreprises proposent une formation sur son utilisation éthique. Cette lacune peut avoir des conséquences importantes. Sans une bonne compréhension des implications éthiques et environnementales de l’IA, les entreprises risquent de développer des solutions qui, bien qu’innovantes, pourraient avoir des effets négatifs inattendus sur la société ou l’environnement.
De la prise de conscience à la mise en action
Pour que l’IA tienne ses promesses en matière de développement durable, plusieurs défis identifiés dans le baromètre doivent être relevés. Il faudrait tout d’abord pouvoir mesurer précisément leur impact environnemental et développer des méthodes standardisées pour évaluer la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre tout au long du cycle de vie des systèmes d’IA. L’exemple de Microsoft montre l’importance de cette mesure précise pour atteindre les objectifs climatiques.
Deuxièmement, des efforts doivent être fournis pour intégrer systématiquement des considérations éthiques. Cela passe par la mise en place de cadres formels et le développement d’outils permettant de détecter et de corriger les biais des modèles d’IA. Nous l’évoquions aussi, former massivement les salariés semble prioritaire, une formation qui doit être interdisciplinaire, combinant des compétences techniques en IA avec une compréhension avancée des enjeux du développement durable.
Il faudrait enfin développer une collaboration étroite avec les décideurs politiques pour établir des cadres favorisant une IA responsable. Cela pourrait par exemple inclure des incitations pour les entreprises qui développent des solutions d’IA durables.
L’étude montre que nous sommes à un moment charnière. Les entreprises reconnaissent le potentiel de l’IA pour le développement durable, mais elles doivent maintenant passer de la prise de conscience à l’action concrète. Le développement d’une IA durable pourra aussi passer par la recherche. Une étude a en effet récemment démontré la supériorité des modèles d’IA par rapport aux modèles traditionnels dans la prédiction des émissions de gaz à effet de serre des États.