Editorial sur Euradio, 9 mai 2019.

Il y a 70 ans, le 23 mai 1949 est née la République fédérale d’Allemagne. Petit voyage en accéléré à travers des moments clés de ces sept décennies: la naissance et les nombreux cadeaux qu’elle a eus dans son berceau. Son adolescence, dans les années 60 (voir ci-dessous), la “nation à contrecoeur” des années 90, puis le bilan qu’on peut dresser aujourd’hui de l’Allemagne en tant partenaire européen.

Au milieu des années 60, la jeune république est une adolescente qui a fait un beau parcours, mais qui a encore des choses à apprendre, notamment sur soi-même.

Pour replonger dans cette époque, reprenons un livre paru au début des années 60 et qui a connu pas mal de rééditions tout au long de la décennie. L’auteur, Rudolf Walter Leonhard, a donné un titre ambigu à son ouvrage : « X-mal Deutschland », qui peut se traduire à la fois par « de multiples Allemagnes » ou par « l’Allemagne, une énième fois ».

Né en 1921, Rudolf Walter Leonhard, avait fait la guerre en tant que pilote de chasse. Après la guerre, il engagea des études littéraires qui l’ont amené jusqu’à un doctorat à Cambridge, puis un job de correspondant à Londres pour l’hebdomadaire Die Zeit, fondé en 1946, journal auquel il resta fidèle dans différentes fonctions jusqu’à sa retraite.

Dans ce livre de 63 chapitres sur 650 pages, il emmène cinq amis dans un voyage à travers cette Allemagne du début des années 60, des intellectuels américain, britannique, suisse, autrichien et français. C’est un voyage en plusieurs étapes, histoire de vérifier ensemble si et comment se porte cette République fédérale adolescente, douze ans seulement après sa naissance.

L’Allemagne qui se présente au regard de ces compagnons de voyage est à la fois une ado difficile qui porte son lot de problèmes identitaires et une élève studieuse et prometteuse.

Déjà, sur le plan économique, ses progrès sont spectaculaires. Elle est entrée dans une période de développement massif appelée aujourd’hui « miracle économique ».

Puis, sur le plan politique, c’est déjà une remarquable stabilité qui frappe les esprits.

Dans son berceau, en 1949, cette République a eu un nombre de « cadeaux de baptême », parmi lesquels la constitution, avec son fédéralisme sanctuarisé, était le plus précieux. Et durant ce voyage dans les années 60, on voit tous les effets bénéfiques secondaires qui en ont découlé, notamment un système de contre-pouvoirs efficace.

Ce dernier est complété par un paysage médiatique entièrement renouvelé, régionalisé lui aussi, avec une presse libre et un service audio-visuel public modelés sur la BBC anglaise – tout a été fait pour éviter que les médias puissent redevenir une machine de propagande mise au pas par un régime central.

Il y a ensuite le choix heureux d’une capitale, Bonn, anodine, provinciale, et ancrée sur le Rhin, tout à l’Ouest du pays, comme une profession de foi.

Et il y a les effets bénéfiques du cadeau que le bébé a eu pour son premier anniversaire : la déclaration Schuman de mai 1950, la main tendue d’une invitation dans une communauté d’un nouveau genre. Inespérée, et vite saisie.

Curieusement, on n’en parle guère, dans ce livre. On la mentionne, la « Montanunion », nom allemand de la communauté de charbon et d’acier. Notamment, bien entendu, dans un chapitre consacré à la Ruhr, et on évoque bien le « Gemeinsame Markt », le marché commun qui devrait en découler, tout en regrettant qu’il soit encore limité à ce secteur industriel et n’ait que peu d’incidence sur le citoyen lambda. En revanche, pas un mot sur les Traités de Rome, pourtant signés en 1957, quelques années seulement avant la parution de l’ouvrage.

Les thèmes qui sont au premier plan sont autres :

Il y a, bien sûr, la division du pays, qui venait d’être cimentée dans le sens premier du terme par le mur de Berlin en août 1961, et qui semblait exclure toute perspective de réunification. De cette situation découle un genre de schizophrénie, entre une « grande Allemagne linguistique et culturelle », héritage d’un passé déjà lointain, et l’acceptation d’une partition politique durable.

Très intéressant aussi : de larges passages consacrés à la vie universitaire, qui est décrit comme hiérarchique, patriarchique, sclérosé – sans que soit évoqué la possibilité d’un mai 68 qui est pourtant tout proche !

Et il y a, enfin, après la décennie des années 50 consacrée à la reconstruction et au refoulement de la honte, les vrais débuts d’une « Vergangenheitsbewältigung », ce travail collectif sur le passé qui est véritablement déclenché par les procès d’Eichmann à Jérusalem, puis des responsables d’Auschwitz à Francfort.

C’est un travail douloureux mais nécessaire et bienfaiteur que la République fédérale a poursuivi jusqu’à l’âge adulte, lorsque, pour ses quarante ans, la réunification lui est tombé du ciel.

[cite]

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