Cette idée forte a été dite par un next gen’ lors d’une conférence entre entreprises familiales. Cela a suscité des réactions de surprise, puis a fait réfléchir l’assemblée pour plusieurs heures.
Les entreprises familiales, en particulier après plusieurs générations, se définissent souvent par leur métier, et par les produits qu’elles proposent : « nous sommes des artisans », « nous sommes fiables, à l’image de nos produits » … Parfois, au fil des décennies, les valeurs de la famille sont ainsi construites en fonction du métier, la rigueur comme l’optimisation technique permanente, l’humilité comme la sécurité patrimoniale. Mais certaines entreprises proposent des produits ou des services « historiques » qu’elles ne savent plus remettre en cause, par peur de trahir la volonté des générations précédentes, par des mécanismes culturels d’ancrage.
Cette persistance peut avoir une influence dommageable à la fois sur la santé de l’entreprise, mais aussi sur la cohésion de la famille.
Sur la santé de l’entreprise, car les produits en question ne correspondent plus forcément aux attentes du marché, et dans un contexte de forte concurrence et d’accélération, il est risqué de manquer de souplesse ou d’adaptation.
Sur la cohésion de la famille, car les nouvelles générations sont entravées dans leur créativité. Elles ressentent qu’elles n’ont pas vraiment le choix, qu’elles doivent se « soumettre » aux modes de gestion ou de direction, aux orientations historiques, ou alors elles doivent se retirer.
Quand François, 50 ans, raconte son parcours dans l’entreprise familiale, c’est avec une note de regret, et un peu de frustration : « toute ma vie, je n’ai pas pu réinventer notre métier, y apporter mon talent. Je n’ai fait que reproduire ce que l’on attendait de moi, et aujourd’hui, je ne sais plus très bien ce que je vaux, et surtout je ne me reconnais pas vraiment dans le projet de la famille. »
Noémie, 33 ans, cherche quant à elle à monter un projet novateur sur une nouvelle gamme de produits, pour trouver son espace dans l’entreprise familiale, mais se rend compte qu’il est difficile pour son père d’accepter cette évolution.
Pierre explique régulièrement pourquoi il est plus raisonnable de fermer telle boutique et telle enseigne. Il se sent usé de le répéter années après années face à une forme de conservatisme, face à une valeur ancrée dans la famille de ne jamais céder ou arrêter une activité comme s’il s’agissait d’un échec avec cette peur de la honte.
La force, la pérennité et la vitalité de l’entreprise familiale se jouent parfois plus au niveau de ses valeurs fondamentales que de ses produits, qui peuvent être revisités par chaque nouvelle génération. La cohérence de l’ensemble est assurée par les valeurs, telles le sens de l’entreprenariat, l’innovation quitte à changer de marchés, l’attachement au territoire et à l’emploi quitte à changer d’activités.
Dans l’entreprise familiale, les orientations stratégiques sont aujourd’hui confrontées à une nouvelle réflexion et à de nouveaux choix qui porte moins sur la nature de ce que l’on vend ou l’on produit – le quoi ? - que sur les valeurs de fond qui sont associées – le pourquoi ? - et surtout le sens recherché – le pour quoi ?.
A l’image d’Apple qui propose des gammes de produits et services très larges adossées avant tout sur des valeurs pour répondre en permanence au « pourquoi faisons-nous ce que nous faisons ? » et qui associe tous les acteurs concernés, clients, collaborateurs et actionnaires, à cette élaboration.
L’effet est double : l’adhésion du marché, comme l’adhésion des collaborateurs et des actionnaires, qui ont la possibilité de se retrouver tous dans ces valeurs, puisqu’ils contribuent à les faire vivre.
Dans les entreprises familiales, c’est ce double effet qui peut être recherché : le métier importe moins, du moment que les membres de la famille savent pourquoi ils s’investissent dans un projet commun.