Interview réalisée par Monica Sanders et initialement publiée en anglais sur Authority Magazine.
Rassurez vos consommateurs sur le fait que la durabilité n'est pas synonyme d’une qualité moindre. Accordez une attention particulière au design et au style, ainsi qu'au confort des articles.
Comme la "slow fashion" gagne en popularité, de plus en plus d'entreprises de mode prennent le train en marche. La consommation responsable gagne en popularité depuis un certain temps, car les gens reconnaissent son importance, et de nombreuses entreprises de mode veulent faire partie de ce changement. Dans cette série d'entretiens, nous nous adressons à des experts de l'industrie de la mode pour qu'ils nous expliquent pourquoi la "slow fashion" et la consommation responsable sont pris en considération. Dans le cadre de cette série, j'ai eu le plaisir d'interviewer la Professeure Sihem DEKHILI.
Sihem DEKHILI est professeure de marketing durable, directrice de recherche à l'ESSCA School of Management. Ses recherches portent principalement sur la consommation responsable, les éco-labels, la mode éthique et le luxe durable. Ses travaux ont été publiés dans de nombreuses revues internationales. Son livre "Marketing durable" publié en 2021 (Ed. Pearson) a obtenu le prix "Syntec-FNEGE" du meilleur ouvrage en Management.
Merci beaucoup d'avoir accepté de répondre à nos questions ! Avant d'entrer dans le vif du sujet, nos lecteurs aimeraient vous connaître un peu mieux. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J'ai grandi en Tunisie dans une famille qui accorde une grande importance au savoir. En particulier, mon père ingénieur m'a transmis l'envie d'apprendre et m'a ensuite convaincue d'intégrer la même école d'ingénieur que lui, dans le domaine agronomique.
Pouvez-vous nous raconter l'histoire qui vous a conduit à ce parcours professionnel particulier ?
Après des études d'ingénieur en agronomie, ma passion pour la recherche m'a poussée vers une thèse de doctorat en marketing agroalimentaire que j'ai réalisée dans une école d'ingénieur dans le sud de la France.
Lorsque j'ai obtenu mon poste de professeure à l'Université de Strasbourg en 2008, mon intérêt pour l'environnement et la nature m'a amenée à me concentrer sur les comportements de consommation écologique. J'ai développé différents thèmes de recherche sur ce sujet au cours des 15 dernières années, notamment le luxe durable et la mode éthique.
Pouvez-vous nous raconter l'histoire la plus intéressante qui vous soit arrivée depuis le début de votre carrière ?
En 2016, j'ai été invitée à pour un séjour de recherche en Italie par ma collègue, la professeure Anna Codini de l'université de Brescia.
L'Italie est l'un des meilleurs endroits pour étudier la mode et ce séjour m'a permis d'explorer les préférences des consommateurs italiens pour les vêtements respectueux du bien-être animal. Mes recherches ont révélé que le bien-être animal n'est pas le critère le plus important pour expliquer la préférence des consommateurs pour les produits de mode. Cela varie en fonction de l'orientation de leurs valeurs sociales. Les personnes ayant un profil pro-social accordent plus d'importance à l’attribut du bien-être animal, tandis que les personnes « pro-self » (plus centrées sur soi-même) sont plus réticentes à l'égard de la mode éthique. Ces résultats de recherche ont pu être publiés dans des revues académiques.
Avez-vous une "citation de leçon de vie" préférée ? Pouvez-vous nous raconter comment cette citation vous a été utile dans votre vie ?
« Le succès n'est pas définitif, l'échec n'est pas fatal : c'est le courage de continuer qui compte. » (Winston Churchill)
Tout au long de ces années, j'ai rencontré des obstacles, mais malgré des épreuves parfois difficiles, je n'ai jamais abandonné. La contrainte devient une force qui me pousse vers l’avant.
Qui est votre héros ou héroïne de la mode ? Pourquoi ?
La marque de mode américaine Everlane est une entreprise qui a adopté une approche originale. Il s'agit d'une marque pionnière en matière de transparence des prix. Pour communiquer des prix justes vis-à-vis de ses consommateurs, Everlane communique des informations sur la décomposition des prix de chaque produit.
Quelles sont les trois choses que nous devrions tous savoir sur la "slow fashion" ?
1. La "slow fashion" doit remplacer la "fast fashion" (et non s'y ajouter).
2. Malheureusement, les produits de la "slow fashion" sont perçus comme moins à la mode que ceux de la "fast fashion".
3. Dans le secteur du luxe, les articles durables sont considérés comme étant de moindre qualité que ceux du luxe conventionnel.
Pouvez-vous expliquer comment il peut être tendance d'acheter moins, d'attendre un peu plus longtemps ou même de réparer des vêtements ?
En achetant un produit écologique ou en adoptant des pratiques durables telle que la réparation de vêtements, un consommateur peut montrer aux autres qu'il est une personne pro-social et non pro-self. Le comportement responsable peut donc contribuer à l’expression d’une identité personnelle et à renvoyer une image de soi-même.
En outre, de nombreux consommateurs de produits de seconde main et de produits vintage sont motivés par la recherche d’unicité. Les vêtements de seconde main sont recherchés surtout pour leur aspect singulier et unique.
Merci pour toutes ces explications. Voici la question principale de notre entretien. Quelles sont selon vous les "5 choses nécessaires à la réussite d'une marque de slow fashion" ? Pour chacune d'entre elles, merci de raconter une histoire ou de donner un exemple. Quelques recommandations pour l'industrie et les marques afin d'augmenter les chances de succès de la slow fashion :
1 . Rassurer vos clients sur le fait que la durabilité n'est pas synonyme d’une qualité moindre. En particulier, accorder une attention particulière au design et au style, ainsi qu'au confort des articles.
2 . Pour promouvoir un produit slow fashion, mobiliser un ensemble de bénéfices : des avantages individuels (style, qualité, confort, prestige, ...), puis des avantages altruistes (environnementaux et/ou sociaux).
Par exemple, pour promouvoir ses chaussures véganes, Bourgeois Bohème communique un mix d'avantages individuels et environnementaux. La marque souligne la légèreté, la respirabilité, la résistance à l'eau et le style du produit qui lui confèrent une grande qualité et un grand confort. De plus, Bourgeois Bohème met en avant le fait que les chaussures sont éco-labellisées.
3. Comprendre qu'au-delà de l'offre de produits durables, les marques de mode ont un rôle clé à jouer pour aider les consommateurs à adopter des comportements de consommation responsable.
En janvier 2020, ThredUp, une plateforme américaine de vêtements de seconde main, a lancé "How Dirty Is Your Closet ?", un test gratuit qui aide les consommateurs à comprendre l'impact écologique de leur garde-robe. En répondant à des questions sur la fréquence d'achat, le nombre d'articles réparés et les habitudes de lavage, les consommateurs obtiennent une estimation de l'empreinte carbone de leur garde-robe par rapport à un taux moyen. Ils reçoivent ensuite des conseils pour les aider à réduire leur empreinte.
4. Si le marché de la mode de seconde main émerge comme une alternative à la fast fashion, il est important de faire attention à l’éventuel « effet rebond ». Les affordances des plateformes de seconde main pourraient conduire à une surconsommation, avec le risque d'entraîner un comportement addictif. En effet, les prix bas et le fait d’associer aux produits d'occasion un moindre impact écologique pourraient inciter les consommateurs à acheter une grande quantité d'articles.
Le transport est également un élément important à prendre en compte. Plusieurs plateformes de seconde main ne permettent pas l'échange direct entre vendeurs et acheteurs, même lorsqu’ils sont situés dans une même zone géographique.
5. Dans le cas de la mode de luxe, il faut être conscient de la complexité de la relation entre "durabilité" et "luxe". Si la "durabilité" évoque le partage, la rationalité et l'altruisme, le "luxe" reste associé à l'exclusivité, au plaisir et à l'égoïsme.
Vous êtes une personne très influente. Si vous pouviez lancer un mouvement qui apporterait un maximum de bien au plus grand nombre, quel serait-il ? Vous ne savez jamais ce que votre idée peut déclencher 🙂
Supprimer le choix : cesser de proposer des produits durables à côté de produits conventionnels. Progressivement, les produits ayant un impact environnemental et/ou social majeur devront être éliminés du marché.
C'était très instructif, merci beaucoup. Nous vous souhaitons beaucoup de succès dans votre travail !
À propos de la personne qui a réalisé l'entretien : Monica Sanders JD, LL.M, est la fondatrice de "The Undivide Project", une organisation qui se consacre à la création d'une résilience climatique dans les communautés mal desservies en utilisant la « Good Tech » et le potentiel de l'Internet. Elle enseigne au Georgetown University Law Center et à la Tulane University Disaster Resilience Leadership Academy. La professeure Sanders fait également partie de plusieurs groupes de travail d'agences des Nations unies. En tant qu'avocate, Monica a occupé des postes à responsabilité dans les trois instances : gouvernement, secteur privé et organisations à but non lucratif. Auparavant, elle a été journaliste pendant sept ans et a reçu plusieurs prix, dont un Emmy. A présent, cette originaire de la Nouvelle-Orléans consacre son temps à s’engager auprès de ceux qui sont en première ligne dans la lutte contre le changement climatique et du désinvestissement numérique. Pour en savoir plus : http://www.theundivideproject.org/