Aude RYCHALSKI
Professeure associée de marketing - ESSCA

Article écrit par Aude Rychalski (ESSCA), Helena V. González-Gómez (Neoma Business School) et Sarah Hudson (Rennes School of Business) pour The Conversation.


 

Le constat est sans appel. De plus en plus d’agents de la fonction publique subissent la violence, l’agressivité et l’incivilité des usagers. Les exemples ne manquent pas : à Nîmes (Gard), une hausse de 400 % des agressions d’agents municipaux a été enregistrée en 2021 ; en novembre 2022, dans le Pas-de-Calais, un contrôleur fiscal trouve la mort dans l’exercice de ses fonctions ; un mois plus tard, en Haute-Vienne, un contrôleur de bus se fait agresser physiquement, etc.

Au niveau national, en 2021, pas moins de 35 000 professionnels de santé ont été agressés et en 2022, 12 000 actes d’incivilité ont été recensés auprès des agents des Caisses d’allocations familiales (CAF). Entre 2020 et 2023, Pôle emploi a pour sa part enregistré une hausse de 20 % des violences.

Certains établissements ont alors décidé d’agir en formant leurs agents tandis que certaines collectivités lancent des campagnes de sensibilisation auprès des usagers, mais ces actions restent isolées. Ainsi, un Plan national de protection des agents des trois versants de la fonction publique et des opérateurs de service public a été présenté le 18 septembre dernier par Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publique.

Ce plan propose une feuille de route autour de trois grands axes de travail. Le premier concerne une meilleure compréhension de la situation avec notamment la mise en place, au premier semestre 2024, d’un baromètre annuel pour mesurer les actes violents subis par les agents. Le deuxième porte sur un inventaire des moyens ou ressources nécessaires pour préserver la sécurité des agents. Enfin, le troisième axe prévoit, pour l’administration concernée par des incivilités, des mesures telles que la possibilité de porter plainte.

Ces trois propositions permettront sans aucun doute de mieux identifier les actes d’incivilité et de répondre aux conséquences de ces actes en termes de moyens et ressources. Pour autant, cette approche ne pose pas la question, pourtant essentielle, des raisons sous-jacentes qui conduisent à ce type de comportement spécifique chez l’usager, au-delà du contexte morose actuel.

Quand la colère monte

Fin 2022, en réaction à la mort de l’agent du fisc mentionnée plus haut, Guillaume Dannard, responsable CFDT à la Sécurité sociale, déclarait dans une interview accordée à RMC :

« [Les incivilités ou les violences] se multiplient parce qu’il y a une dégradation forte du service rendu à nos assurés, puisque les délais pour traiter les dossiers s’allongent. Et mécaniquement, ça crée de l’incivilité quand nos concitoyens n’arrivent pas à avoir les droits en temps et en heure ».

Ce triste constat illustre le mécanisme qui s’opère derrière l’émergence des incivilités : la non-atteinte de l’objectif que s’est fixé l’usager en faisant appel au service, l’incertitude et l’absence de contrôle sur la situation, le sentiment d’injustice dans la manière dont l’usager et son problème sont considérés ou encore la responsabilité d’une tierce personne ou d’un événement.

Lorsqu’un usager fait appel à un service – public ou privé – via une agence physique ou un autre canal (téléphone, e-mail, etc.), il s’attend en effet à ce que l’agent résolve son problème, par exemple : « Je souhaite obtenir un remboursement » ou « Je dois effectuer un changement d’adresse ». Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.

Une première étude que nous avons menée auprès de 1114 usagers de centre d’appels révèle justement que la non-atteinte de l’objectif initial, l’incertitude, l’absence de contrôle sur la situation, une situation perçue comme injuste et la responsabilité d’une tierce personne ou d’un événement génèrent de la frustration qui, à son tour, peut entraîner un comportement violent ou des incivilités.

Une deuxième étude conduite auprès de 971 répondants montre en outre que la non-atteinte des objectifs, la responsabilité de la situation par une tierce personne ou un événement et le manque de contrôle sur cette situation génère, ici, de la colère chez l’usager. De plus, la présence simultanée de deux de ces facteurs – l’absence de contrôle et la non-atteinte de l’objectif, par exemple – amplifie cette colère, ce qui peut ensuite entraîner un comportement déviant chez l’usager.

Réapprendre à parler à l’usager

L’analyse du comportement émotionnel des usagers démontre donc la nécessité de fournir des clés aux agents de la fonction publique qui sont amenés à communiquer avec eux, que ce soit par écrit, par téléphone ou en face à face. En effet, les agents doivent être en mesure d’aider les usagers à restaurer leur contrôle sur la situation, à réduire leur incertitude et à résoudre leur problème. Pour cela, plusieurs pistes peuvent être envisagées.

La première est d’offrir à l’usager plusieurs choix parmi les canaux de communication. Si l’usager ne peut pas résoudre son problème par un canal, la possibilité de le faire via un autre minimisera son sentiment de manque de contrôle et par conséquent les émotions négatives induites.

Au-delà du sentiment de contrôle, la deuxième piste de travail est que l’usager soit sécurisé sur son niveau d’incertitude et sur le fait que son problème sera résolu. Pour cela, la formation des agents sur la manière d’adopter une posture, une attitude, un langage clair, compréhensible et empathique, peut réduire les émotions négatives et par conséquent les incivilités et les violences. De même, des formations plus pointues, voire le recrutement d’agents avec des profils particuliers, sont encouragés.

La formation d’agents à la reconnaissance des premiers signes de colère à travers des techniques éprouvées de communication, des simulations, des méthodes de gestion des conflits et d’écoute active permettrait d’éviter son amplification et ses effets négatifs. Lorsque le niveau de colère est faible, l’usager réagit mieux aux appels à la raison. En ce sens, la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) vient juste d’initier un programme de plusieurs modules conçus avec les agents.

Les usagers demandent « plus d’humanité »

Nous suggérons donc aux agents confrontés à des signaux précoces de colère d’encourager la prise de recul en fournissant à l’usager des informations et des explications sur l’origine de la défaillance du service. De cette manière, les usagers peuvent procéder à une réévaluation et réguler leur colère plus efficacement. Dans une situation d’escalade de la colère, il est peu probable que les faits et les informations soient utiles. Dans ces circonstances, les agents doivent faire preuve d’empathie et de compréhension afin de favoriser chez l’usager la répression de sa colère.

Enfin, les usagers – et les agents également – réclament plus « d’humanité » dans les relations. Plutôt que de remplacer l’être humain par des robots, il semble capital d’investir et de renforcer les moyens et les ressources liés aux technologies d’interaction et d’accompagnement entre l’usager et l’agent. L’expérimentation de l’intelligence artificielle (IA) dans les services publics en octobre dernier semble déjà porter ses fruits.

L’IA, utilisée pour des tâches avant tout administratives, a permis une réduction du temps de réponse, passant de 7 jours à 3 jours, les avis positifs des agents sont de 70 % et le taux de satisfaction des usagers atteint 74 %. Cela permet ainsi aux agents de la fonction publique de se concentrer sur le relationnel et l’accompagnement des usagers dans la résolution de leurs problèmes, et ainsi, potentiellement, réduire les actes d’incivilité.

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