Nos deux précédents articles discutaient de la question de savoir si la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) est un authentique accord (1). La question mérite d’être posée car cet accord a été jugé déséquilibré, notamment parce que, selon la juriste Martina Galli, la personne morale mise en cause est appelée « à décider si elle accepte ou non les conditions imposées par le procureur » (2). Une première tentative de conceptualisation, à l’aide du concept d’engagement conjoint, n’a pas permis de conclure que la CJIP relevait d’un type d’accord particulier. Nous explorons ici une deuxième possibilité. Elle est inspirée d’une autre observation de Martina Galli qui souligne l’intérêt, pour comprendre cet accord, de tenir compte de la différence entre les concepts de consentement et d’assentiment.
S’inspirant d’un propos de Jean Danet, Martina Galli observe que, « plutôt que d’un consentement, le terme « assentiment » rend mieux compte de l’acceptation requise par la loi » (3). Elle présente aussitôt la distinction suivante : « L’assentiment signifie à la fois plus et moins qu’un consentement. D’une part, le mis en cause en effet n’accepte pas seulement la sanction, il va devoir y adhérer pour l’exécuter sans contrainte. Mais d’autre part, son assentiment ne conditionne pas la sanction, c’est une autre sanction qui advient par d’autres voies, celles des poursuites classiques. »
Si l’assentiment « rend mieux compte de l’acceptation requise par la loi », c’est en raison de l’adhésion aux motifs de la loi, à sa raison d’être, et, par voie de conséquence, dans le cas de la CJIP, à la sanction financière et à l’obligation de la personne morale de se soumettre à un programme de mise en conformité (4).
L’assentiment ajoute la motivation à l’aspect formel d’un accord. Par lui, la personne reconnaît que la proposition d’autrui (en l’occurrence la proposition du procureur de la République, une proposition se définissant justement ici comme « le fait de présenter, de suggérer, de soumettre au consentement de quelqu’un ») mérite d’être acceptée au motif que, par exemple, n’importe quelle personne raisonnable (ou soucieuse de l’intérêt public) placée dans les mêmes circonstances devrait l’accepter (5). L’assentiment implique que la personne juge qu’un tel principe (« Toute personne raisonnable accomplirait l’action A dans les circonstances C ») est « juste et vrai » (6). L’observation de Martina Galli signifie que la loi requiert ce genre de jugement.
Mais un assentiment, qui appartient au domaine de l’esprit, à la subjectivité, signifie moins qu’un consentement qui, par définition, prend la forme d’une action – par exemple la signature d’un document. Le consentement a des effets pratiques, notamment juridiques, sans nécessairement exiger chez son auteur une adhésion aux motifs de l’accord qu’on lui propose. Ainsi, selon le lexicographe Jean-Charles Thibault de Laveaux, « on peut donner son consentement à une chose sans y donner son assentiment ; c’est-à-dire qu’on peut, par quelques considérations particulières, consentir qu’elle se fasse, sans adopter les motifs qui engagent à la faire » (7).
Une telle situation peut s’accorder avec la CJIP : y consentir se manifeste par un acte public (l’acceptation formelle par la personne morale de la convention proposée par le procureur de la République), mais l’assentiment (la reconnaissance sincère de sa faute et de la justesse de la sanction) peut ne pas être présent. On pourrait ainsi émettre une première hypothèse expliquant le déséquilibre imputé à la CJIP – l’idée qu’elle « ne place pas les parties à la transaction sur un pied d’équilibre » (8) – par l’existence d’une dissonance entre consentement et assentiment : la personne morale pourrait consentir (signer la convention judiciaire d’intérêt public) sans assentir (sans reconnaître la valeur de l’intérêt public).
Cette distinction est cohérente avec la conception selon laquelle l’objet de l’assentiment est une proposition (comprise ici au sens logique de l’énoncé d’un état de fait) – l’assentiment est alors « un acte de l’esprit qui adhère à une proposition » –, alors que le consentement a pour objet une action – il est « un acte de volonté par lequel on décide ou même on déclare expressément qu’on ne s’oppose pas à une action déterminée dont l’initiative est prise par autrui » (9). L’assentiment dépend de la faculté d’entendement, le consentement de la faculté de volonté.
Appliqué à la CJIP, et en simplifiant de façon excessive, cela pourrait donner, du côté de l’assentiment : « Nous croyons que cet accord est une bonne opportunité », et, du côté du consentement : « Nous voulons signer cet accord ». Le caractère simplificateur de cette présentation vient notamment du fait que, d’une part, l’assentiment est confondu avec le concept de croyance, et que, d’autre part, assentir à une proposition dénote également un acte de volonté : nous choisissons d’accepter la proposition en question – nous pourrions tout aussi bien la refuser (10).
Ajoutons que cette acceptation peut recouvrir une adhésion plus ou moins forte à une proposition. On comprend et on admet intuitivement qu’il existe des degrés d’assentiment à une proposition selon l’incertitude qui lui est associée ou selon des facteurs dépendant de la personne elle-même (11). Une question de ce genre a par exemple été posée à propos de l’assentiment demandé à des enfants dans le cadre de soins médicaux ou en matière de recherche médicale.
Dans ce cas particulier, le consentement dépend de la qualité de l’information qui est communiquée à l’enfant ou à ses représentants, mais aussi de leur compétence et de leur capacité de prise de décision (12). Il suppose en outre une formalisation, par exemple, comme nous l'avons évoqué précédemment, une signature apposée sur un document officiel. L’assentiment, de son côté, repose sur des conditions moins exigeantes qui prennent en compte la possible limitation de la capacité de décision des enfants (13).
C’est ainsi que le consentement (éclairé) a été défini comme « un accord explicite nécessitant que les participants soient informés sur la recherche et la comprennent », tandis que l’assentiment a été décrit comme un « accord informel d’y participer » (14). En bref, « alors que le consentement présume l’existence d’une capacité de prise de décision et donc le droit de faire un choix définitif, la notion d’assentiment sanctionne simplement la participation active des enfants aux soins et le développement de leurs capacités de prise de décision » (15). La qualité de l’assentiment varie selon leur capacité de compréhension et leur aptitude à la délibération et à la décision. On en déduit la possibilité de degrés dans l’approbation qu’ils donnent à des soins ou à des actes de recherche.
On pourrait ainsi avancer une seconde hypothèse, fondée sur des degrés d’assentiment, pour expliquer le déséquilibre imputé à la CJIP : la dissonance entre consentement et assentiment est une affaire de degrés, et le déséquilibre provient d’un degré insuffisant de motivation dans l’approbation de la convention judiciaire d’intérêt public.
Malheureusement, cette nouvelle formulation dit moins que celle qui résultait de la distinction entre assentiment et consentement.
Avant de conclure, envisageons une troisième hypothèse, qui fait uniquement appel au concept de consentement : le supposé déséquilibre de la CJIP proviendrait du fait que, si la personne morale mise en cause donne effectivement un consentement exprès à la convention qui lui est proposée par le procureur de la République, elle ne donne aucun consentement, ni exprès ni tacite, aux principes de la loi.
Une telle hypothèse paraît peu crédible. En effet, on peut considérer qu’en signant une CJIP, la personne morale n’a pas donné un consentement exprès à cet accord seulement, mais aussi aux principes de la loi qui en est à l'origine.
Et si l’on rejette cette objection, on peut défendre l’idée qu’à défaut de consentement exprès, la personne morale a consenti aux principes de cette loi de façon tacite. À l’appui de cet argument, on pourrait avancer que le fait que la personne morale a accepté les avantages d'une CJIP implique qu’elle a consenti aux principes de la loi qui a instauré ce dispositif, à moins que cette personne morale ait affirmé publiquement qu’elle ne consentait pas aux principes de cette loi – mais une telle affirmation aurait eu un effet sur la conclusion de la CJIP en question. Ou encore, le fait que cette personne morale a accepté de négocier avec l’autorité publique afin de parvenir à une CJIP est en soi le signe qu’elle consentait tacitement aux principes de la loi – dans cette hypothèse, en effet, il lui aurait été difficile, sinon impossible, d’affirmer : « Nous ne consentons pas aux principes de la loi qui a introduit la CJIP, bien que nous soyons en train de négocier une CJIP avec les autorités judiciaires françaises » (16).
Ces arguments nous conduisent à rejeter notre troisième hypothèse. Mais la brève discussion qu’elle a suscitée nous permet de conclure notre exploration : l’esprit de la loi du 9 décembre 2016 qui a introduit la convention judiciaire d’intérêt public implique un consentement authentique des personnes morales concernées, y compris un consentement au bien-fondé de la loi. Et ce double consentement élimine l’idée selon laquelle le supposé « déséquilibre » dans la conclusion de cette convention aurait un caractère problématique.
Références
(1) Voir nos deux articles précédents : « Quel sens donner à l’idée d’accord dans la ‘convention judiciaire d’intérêt public’ ? », partie 1 et partie 2, Blog Philosophie & éthique des affaires, 30 novembre et 21 décembre 2022.
(2) M. Galli, « Une justice pénale propre aux personnes morales. Réflexions sur la convention judiciaire d’intérêt public », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2(2), 2018, p. 359-385.
(3) L’ouvrage de Jean Danet, avocat honoraire et maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, est La justice pénale entre rituel et management, Presses Universitaires de Rennes, 2010.
(4) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, article 22.
(5) Grand Larousse de la langue française, tome 5, Librairie Larousse, 1989.
(6) J.-C. Thiebault de Laveaux, Dictionnaire synonymique de la langue française, Volume 1, A. Eymery, 1826.
(7) Ibid.
(8) L. Fabre, « Préservons l’équilibre de la convention judiciaire d’intérêt public », Le Monde du Droit, 5 novembre 2021.
(9) A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 18ème édition, Paris, PUF, 1996.
(10) Voir Paul Ricoeur, « Croyance », Encyclopædia Universalis, Volume 5, 1968.
(11) Nous faisons ici une brève allusion à la thèse de John Locke sur les degrés d’assentiment (Essai sur l’entendement humain, Livre IV, chapitre 16).
(12) « La capacité de prise de décision [DMC : Decision-Making Capacity] se définit comme la capacité cognitive d’une personne à utiliser des informations afin de prendre une décision. La compétence fait quant à elle référence à l’autorité qu’a une personne de transformer ces choix en décisions juridiquement contraignantes dans les limites de la loi. » (Groupe de rédaction BIO/ENF-CP sur l’élaboration d’un guide de bonnes pratiques concernant la participation des enfants au processus décisionnel sur les questions relatives à leur santé, Conseil de l’Europe, 25 novembre 2021.)
(13) Selon Sanford Leikin, cette limitation vient de l’immaturité des enfants, qui se caractérise notamment par des valeurs qui « sont plus susceptibles de changer avec le temps que celles d’un individu plus âgé » (S. Leikin, « Minors’ assent or dissent to medical treatment », The Journal of Pediatrics, 102(2), 1983, p. 169-176).
(14) A. Graham, M. Powell, N. Taylor, D. Anderson & R. Fitzgerald, Recherche éthique impliquant des enfants, Centre de recherche de l’UNICEF – Innocenti, 2013.
(15) Groupe de rédaction BIO/ENF-CP…, op. cit. Il convient de souligner que, malgré ces nuances, des textes officiels, en particulier la déclaration d’Helsinki et un règlement de l’Union européenne, affirment que l’assentiment d’un enfant est requis lorsqu’il est capable de le donner.
(16) Nous nous inspirons ici d’Arthur Isak Applbaum, Ethics for adversaries: The morality of roles in public and professional life, Princeton University Press, 1998.