« Non le gouvernement britannique n’a pas de droit de veto. Nous n’aurons pas notre mot à dire… L’UE ne va pas écarter la Turquie. Elle va adhérer. »

Penny Mordaunt, ministère des forces armées, s’exprimant sur la BBC, dans l’émission de Andrew Marr du 22 mai.

Cet argument selon lequel la Turquie serait sur le point de rejoindre l’Union européenne et selon lequel le Royaume-Uni ne pourrait rien y faire, est un parfait exemple de la campagne alarmiste menée dans le cadre du referendum sur le Brexit. Et ce n’est qu’un parmi tant d’autres des arguments totalement exagérés avancés par chaque camp – Nigel Farage, par exemple, a déclaré que le Mandat d’Arrêt Européen pourrait permettre l’extradition de citoyens britanniques sans preuve, tandis que dans le camp du maintien on argue que le Retrait de l’UE pourrait précipiter le déclin du pays, voire même provoquer une guerre. Europe-TurquieBien sûr, la Turquie n’est pas sur le point de rejoindre l’UE.

Cela fait bien longtemps que l’on fait danser le spectre de l’adhésion turque pour nourrir l’euroscepticisme. En 2005, ce fut un facteur de rejet du projet de Traité Constitutionnel lors des referendums en France, puis aux Pays-Bas. La Turquie n’était certainement pas sur le point de rejoindre l’UE à l’époque, et encore moins aujourd’hui. Et si l’on met cela de côté, la déclaration de Penny Mordaunt soulève la question de la possibilité ou non pour un pays membre de l’UE d’opposer un veto à une demande d’adhésion.

La réponse est oui. L’accession d’un candidat doit être approuvée à l’unanimité par le Conseil de l’Union européenne, où siègent les représentants de chaque état membre, puis ratifiée par tous les Parlements nationaux. Ceci permet à chaque état membre d’opposer son veto. Donc même si la Turquie pouvait répondre à tous les critères permettant d’intégrer l’UE (ce qui est loin d’être le cas), et même si tous les autres états membres étaient en faveur de son adhésion (ce qui n’est pas le cas), le Royaume-Uni pourrait encore opposer son droit de veto.

Qui pourrait vraiment adhérer ?

Depuis l’Acte Unique Européen de 1987, l’UE (alors Communauté Economique Européenne) s’est départie de l’unanimité dans le processus législatif. Au Conseil de l’UE, le vote à majorité qualifiée est désormais la norme pour la plupart des domaines liés au marché commun et pour certains des domaines liés à la justice et aux affaires intérieures. Dans ce système, une mesure passe si elle est approuvée à au moins 55% des états membres (soit 16 sur 28), ce qui représente ainsi au moins 65% de la population de l’UE. les-frontieres-de-leurope-6-728Mais il y a un certain nombre de domaines sensibles pour lesquels l’unanimité reste la règle. L’accession d’un nouvel état membre est l’un de ces domaines. A l’origine, les critères d’accession à la CEE étaient plutôt lapidaires. L’article 237 du Traité de Rome de 1957 stipulait à ce sujet « n’importe quel pays européen peut demander à devenir membre de la communauté ». Mais même à cette époque les états membres avaient un droit de veto à l’endroit des aspirants adhérents. La France a opposé son veto par deux fois aux aspirations britanniques d’adhésion (en 1963 et 1967) et ce parce que le Président Charles de Gaulle voyait en la Grande Bretagne le Cheval de Troie de l’influence américaine en Europe, il était inquiet des effets du libéralisme britannique sur les politiques protectionnistes. Ce n’est qu’après le départ de Charles de Gaulle que les Britanniques ont pu relancer le processus d’adhésion, devenant membre en 1973.

Veto et ralentissement

La fin du communisme en Europe a ouvert pour la première fois, la voie à une véritable expansion de la CEE/UE. Et ceci a nécessité une nouvelle procédure d’accession. Les critères de Copenhague de 1993 ont ainsi défini des exigences précises au regard de la démocratie, des droits de l’homme, des capacités économiques et des réponses apportées aux obligations légales d’adhésion. La Croatie est le dernier pays à avoir répondu aux exigences de cette procédure. Le traité de son adhésion fut signé par les 27 autres états membres en décembre 2011, puis fut ratifié par les Parlements de chaque état membre, permettant ainsi à la Croatie de devenir membre de l’UE en juillet 2013. Mais lors de la réunion du conseil de décembre 2011, les leaders de l’UE repoussèrent la candidature de la Serbie, une manière de rappeler que les états membres ont bien les moyens de retarder ou de court-circuiter l’expansion s’ils le souhaitent. Ceci nous ramène donc à la Turquie. L’impopularité que suscite sa possible adhésion parmi les Européens explique en partie la lenteur de la progression de sa candidature. L’autre élément d’explication c’est son incapacité à répondre aux critères d’éligibilité. Il est ainsi très peu vraisemblable de voir le conseil approuver cette adhésion à court terme. Et si c’était le cas, le Royaume-Uni aurait un droit de veto.

Pourquoi alors évoquer la Turquie ?

Pourquoi donc la question de l’expansion de l’UE – et en particulier au travers de la Turquie – est-elle aussi significative dans le débat autour du referendum ? La réponse c’est qu’elle cristallise des arguments clé pour les partisans du Brexit : peur de l’immigration incontrôlée, perte de contrôle des frontières nationales, et manque total de confiance dans les élites britanniques et européennes. Ce dernier point se manifeste notamment dans cette croyance largement répandue selon laquelle un accord aurait été conclu avec le Président Erdogan : l’adhésion contre son aide dans la crise des réfugiés. Ce type de certitude est particulièrement difficile à contrecarrer pour le camp du Maintien qui ne peut pas expliquer aux citoyens la réalité d’une procédure d’accession. Et ce désaveu de la classe politique est un problème très profond qui persistera au-delà du résultat du référendum.


scicluna-nicoleNicole Scicluna est maître de conférences en Politique et Relations Internationales, School of Government and Society (université de Birmingham). Les BreXing News regroupent en un blog des analyses et des points de vue publiés durant la campagne référendaire au Royaume-Uni par l’EU-Asia Institute de l’ESSCA. Download the English version of this post. Aller aux BreXing News précédentes.    

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