Au lendemain du référendum, l’idée du « soft Brexit », qui laisserait le Royaume-Uni dans le marché unique tout en le sortant de l’Union européenne avait la cote en Ecosse et en Irlande-du-Nord. Maintenant que se dessine un « hard Brexit », on parle de maintenir l’Ecosse et l’Irlande-du-Nord au moins dans le marché unique et l’union douanière, alors que l’Angleterre et le Pays-de-Galles s’en retireraient. Les motivations diffèrent : en Ecosse, on souhaiterait bénéficier du libre-échange et de la liberté de circulation ; en Irlande-du-Nord, il s’agit surtout d’éviter une « frontière dure » avec la République d’Irlande.
Tout cela ne sera pas facile. Un peu de précision conceptuelle s’impose. C’est quoi déjà la différence entre un marché unique et une union douanière ? Le marché unique implique l’élimination des obstacles à la libre circulation des biens, des services, du capital et des travailleurs. Cela comprend l’harmonisation des normes et standards ainsi que la reconnaissance mutuelle de ces standards parmi les Etats-membres. Les quatre libertés du marché unique sont estimées indissociables. Ainsi, la liberté de circulation des travailleurs est essentielle pour la libre circulation des services et vice-versa. Le tout est encadré par des régulations sur les aides d’Etat, la concurrence non-faussée, les commandes publiques et d’autres domaines.
Mais l’UE est aussi une union douanière, au sein de laquelle non seulement les droits de douane entre les Etats-membres sont abolis, mais qui possède aussi ce qu’on appelle un « tarif extérieur commun » (aussi appelé « tarif douanier commun »). Cela signifie que des biens importés correctement dans n’importe quel Etat de l’Union peuvent ensuite circuler librement sans empêchement. Cela comprend les matières premières, mais aussi des composantes importées de pays tiers et utilisées dans l’assemblage de produits finis, qui sont ensuite exportés aux autres Etats-membres. Logiquement, les Etats-membres d’une union douanière ne peuvent pas négocier des accords commerciaux avec des Etats tiers, puisqu’il ne peut y avoir qu’un seul régime de droits de douane.
L’Espace économique européen (EEE) – composé des 28 Etats-membres de l’Union plus la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein – est un marché unique, mais pas une union douanière. Cela signifie que des produits assemblés dans les trois pays associés à partir de matières premières et de composantes en provenance d’ailleurs, puis exportés dans les pays de l’EEE, tombent sous ce qu’on appelle les « règles d’origine ».
Ces règles d’origine déterminent combien d’un produit a été fait au sein de l’EEE et combien a été importé, afin de décider sur les tarifs adéquates. L’application de ces règles est coûteuse pour les entreprises et les gouvernements, et nécessite beaucoup de surveillance. Tout cela pour dire que si l’Ecosse et l’Irlande-du-Nord voudraient rester dans le marché unique et l’union douanière, elles ne pourraient pas en même temps rester dans l’union économique du Royaume-Uni. Il y aurait forcément une frontière « dure » entre elles et l’Angleterre et le Pays-de-Galles, car sinon cela ouvrirait un « trou » à travers lequel les biens, les services et les personnes passeraient sans le moindre contrôle. Par conséquent, les droits de douane qui seraient appliqués à l’avenir entre le Royaume-Uni et l’Europe s’appliqueraient également entre le Royaume-Uni et ses deux « anciennes » régions.
Un vrai casse-tête pour les entreprises écossaises et nord-irlandaises, qui pourraient alors exporter librement à travers l’Europe entière, mais pas avec l’Angleterre ! Au contraire, le commerce avec l’Angleterre serait soumis aux règles d’origine et aux contrôles douaniers afin de s’assurer que les tarifs adéquats ont bien été payés.
De toute évidence, un tel système ne sera acceptable ni pour le Royaume-Uni ni pour l’Union européenne. Pour l’Ecosse, cela relèverait de l’indépendance de fait (autant la proclamer alors), et pour l’Irlande-du-Nord, de telles barrières révolteraient la communauté unioniste et mineraient tout consensus pour une évolution de son statut. Bien sûr, rien n’empêcherait un compromis entre le Royaume-Uni et la République d’Irlande en faveur de la libre circulation des personnes. Idem avec l’Ecosse, si jamais elle devait devenir indépendante. Mais pour les biens et les services, ce ne sera pas possible. L’Union européenne serait obligée d’appliquer les règles d’origine et les contrôles, ne serait-ce que pour vérifier que l’Irlande ne sera pas utilisée comme « la porte arrière » du marché unique par des entreprises anglaises. Ce qui pourrait avoir pour conséquence, par exemple, de ruiner l’industrie agro-alimentaire irlandaise (comme l’ont fait remarquer deux anciens Premiers ministres irlandais).
Tout cela s’annonce bien compliqué. Il y a certes un sentiment selon lequel la constitution très flexible du Royaume-Uni nous a toujours permis de nous en sortir de manière pragmatique an appliquant un « système D ». Pour l’instant, cependant, on n’en a pas trouvé…
Michael Keating est professeur en sciences politiques à l’université d’Aberdeen et Directeur du Centre on Constitutional Change. Il est expert pour le forum indépendant « UK in a Changing Europe » et participe au programme Changing Europe de l’Economic and Social Research Council (ESRC). Voir la version originale du texte en cliquant ici. Aller aux BreXing News précédentes.