L’étude “Let it Grow? Social Representations of Nature on Contaminated Brownfields de Dr Marjorie Tendero et Dr Cécile Bazart vient de paraître dans le livre « Urban Wastelands » de la Série Cities and Nature de Springer.
Quel est le contenu de ce chapitre, les résultats de l’étude, comment ce travail de recherche a-t'il été mené ? Merci à Marjorie Tendero d’avoir pris le temps pour répondre à ces quelques questions.
Peux-tu nous donner un bref aperçu de cette étude, ses origines, étapes et pour quel résultat, que nous apprend cette étude ?
Cette étude traite de la nature dans le cadre de friches urbaines polluées, qui sont des espaces laissés vacants à la suite de l’arrêt d’une activité économique. Ils sont situés en espace urbain et la contamination des sols comme résultat des activités passées y est avérée. L’étude analyse comment ces espaces pollués sont perçus et comment est perçue la végétation existante sur ces sites ; observe-t-on également les bienfaits en termes de biodiversité et de bien-être des populations que l’on a par ailleurs sur des espaces verts ? Ce thème de recherche remonte jusqu’à ma thèse réalisée entre 2014 et 2017 dans le cadre d’un financement par l’ADEME à l’AgroCampus Ouest. L’ADEME avait émis un appel à candidature pour un travail sur les friches polluées et la valorisation de leur reconversion. Pour moi, ce sujet avait et a toujours du sens au point de continuer à y travailler. Cette étude est donc la continuité de mes travaux. Ici j’ai voulu analyser la perception que les gens ont d’une friche polluée, c’est-à-dire, est-ce qu’ils la perçoivent comme un espace naturel ou juste comme un espace pollué ? Pour cela j’ai fait de nouvelles analyses des données textuelles récoltées lors de ma thèse en mettant l’accent sur l’aspect végétation et nature.
En 2013, au moment de ma thèse, il y avait plus de 6500 sites et sols pollués ou potentiellement polluées appelant une action des pouvoirs publics en France. Près d’un tiers étaient des friches industrielles polluées.
J’ai pu « tester » et développer mes recherches sur les friches industrielles polluées grâce à des conférences et colloques où l’on rencontre des experts et d’autres chercheurs qui engagent un processus de reviewing. Ce processus passe par des questions, des conseils de recherche permettant d’alimenter le sujet et d’enrichir nos propos. Je suis pas mal intervenue à Tours, où le laboratoire Citeres fait un excellent travail sur l’aménagement des espaces et l’urbanisme et notamment les espaces vacants. Ma participation au livre est d'ailleurs le résultat d’une participation au colloque « Les friches urbaines : une forme de nature en ville ? / Urban wastelands : a form of urban nature ? » qui a eu lieu en mai 2019 à Tours.
Et le résultat ?
Même si l’espace est pollué, les habitants le perçoivent comme de la nature. En revanche, le jugement qu’ils en font varie : certains perçoivent ces espaces de manière négative, d’autres de manière tout à fait positive. Ainsi, une végétation non contrôlée peut être perçue comme peu esthétique (le terme « moche » est sorti à plusieurs reprises dans l’analyse des données textuelles), mais aussi comme un espace très important à la biodiversité.
Le fait de reconvertir une friche dans un espace utile (ex. logement, parc…) ne change pas forcément la perception que les personnes ont de cet espace. Par exemple, une friche polluée qui a été dépolluée et puis construite reste stigmatisée du fait de sa pollution passée. Cela se retranscrit aussi sur les données foncières. C’est donc valable pour les individus et organismes ou collectivités. Il faut souvent 10, 20, 30 ans pour que la perception d’un site change.
Cette étude porte sur 803 observations d’individus – à travers des questionnaires - vivant dans une municipalité avec une friche industrielle en France (au total 503 communes différentes), peux-tu nous en citer quelques exemples ?
Oui, bien sûr. Comme nous sommes situés dans le Maine-et-Loire, citons 3 exemples de proximité : La friche de l’usine de l’Alleud à La Possonnière ; la friche Thomson à Angers ou encore la friche des Tarares à Mauges-sur-Loire. C’est d’ailleurs très intéressant de voir comment les élus et habitants de ces communes se sont emparés des résultats de mes recherches. Par exemple à Mauges-sur-Loire, la transformation en espace de végétation avec panneaux photovoltaïques et zones de pâturage me semble plutôt bien réussie alors qu’ils partaient avec des grandes difficultés et des coûts de traitement énormes.
A qui s’adresse cette étude, qui devrait lire le chapitre que tu as écrit ?
Elle s’adresse tout d’abord à des gestionnaires d’espaces verts et toutes les collectivités territoriales confrontées aux friches polluées. Les riverains concernés peuvent également y trouver un intérêt.
Et pourtant, ce livre existe uniquement en anglais. C’est un peu restrictif, non ? Comment ces personnes peuvent y avoir accès facilement, des communications en français existent/sont prévues ?
Oui, l’objectif est ensuite de disséminer ces travaux. Cela peut passer par des articles dans la presse généraliste, des interventions dans le cadre d’interviews et aussi à travers des partenaires publics. Je pense notamment à l’ADEME qui organise chaque année un colloque sur la reconversion des friches pour accompagner des acteurs publics et privés dans la planification et conduite de leur projet d’aménagement, de développement ou de renaturation sur le foncier dégradé.
Comment cette étude s’inscrit dans les domaines de recherche à l’ESSCA ? A l’ESSCA, le sujet du développement durable irrigue tous les domaines de la recherche et c’est également l’une des expertises de l’Institut Europe*Asie dont je suis membre. Mon étude s’y inscrit clairement car on parle ici d’environnement, de gouvernance et d’impact sociologique. De plus, les friches représentent un coût non-négligeable pour la société dans le maintien de la friche tout comme dans sa reconversion. Nous avons donc également un facteur économique sur lequel l’étude pourrait être étendue à l’avenir.
Et justement, la suite c’est quoi ? Il me reste encore plein de choses issues de ma thèse à valoriser. Par exemple je travaille actuellement sur 2 articles : - L’un traitant de la satisfaction des individus sur la gestion de la contamination des sols ; - L’autre, de leurs connaissances et représentations de la contamination des sols. J’ai également extrait des données qui concernent plutôt les gestionnaires en vue d’un travail sur les difficultés qu’ils rencontrent dans la transformation d’une friche. Le coût est un frein mais d’autres facteurs jouent un rôle très important comme les contraintes administratives qui sont très lourdes.
Merci Marjorie pour cette interview et à bientôt pour parler de la suite de tes projets de recherche.
Tendero M., Bazart C. (2021) Let It Grow? Social Representations of Nature on Contaminated Brownfields. In: Di Pietro F., Robert A. (eds) Urban Wastelands. Cities and Nature. Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-030-74882-1_8
Dr Marjorie Tendero est professeure assistante au sein de l'UER Economics, Law and Society de l'ESSCA et membre de l'Institut Europe*Asie. Dr Cécile Bazart est Maître de conférences à l'Université de Montpellier, CEE-M, Montpellier et Co-encadrante de la thèse de Marjorie Tendero.