Invité par le campus de Bordeaux, Albrecht Sonntag a dessiné, dans une conférence destinée aux étudiants de ce nouveau site de l’ESSCA, les perspectives d’une Union européenne « post-Brexit ». Le Royaume-Uni serait-il seulement le premier domino qui tombe, amenant d’autres Etats-membres à réfléchir à leur tour à une sortie de la communauté? Question qui mérite d’être posée, car les candidats ne manquent pas. Une Hongrie et une Pologne qui s’éloignent dangereusement de ce qu’on croyait être des valeurs communes européennes en matière de démocratie et d’Etat de droit ; des échiquiers politiques en France et aux Pays-Bas dominés par des formations d’extrême-droite xénophobes et hostiles à la construction européenne ; l’Italie et la Grèce lourdement endettées et déçues par ce qu’ils perçoivent comme un manque de solidarité face à l’afflux des migrants – y a-t-il risque de contagion ?
Et que devient l’Allemagne dans tout cela ? Ne sera-t-elle pas tentée à un moment donné de faire cavalier seul, afin de défendre de manière encore bien plus égoïste ses « intérêts nationaux » ? Si une désintégration brutale et douloureuse de l’Union européenne est effectivement une possibilité qu’on ne saurait plus exclure, tout porte à croire que le Brexit n’inspirera pas les autres « dominos potentiels » à suivre l’exemple du Royaume-Uni. En revanche, l’idée d’une Europe « à plusieurs vitesses » (ou faudrait-il dire : « à plusieurs lenteurs » ?) renaît de ses cendres et devient plus probable. Toute la question est de savoir si la France et l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne – qui se réuniront bientôt à ce sujet à Versailles – auront effectivement le courage d’aller de l’avant.
Et il y a des facteurs de cohésion dont il ne faut pas sous-estimer l’importance : c’est le dos contre le mur que les dominos sont les plus stables et c’est le dos contre le mur que l’Europe a traditionnellement trouvé la force d’avancer. Le mépris que lui opposent à la fois Vladimir Poutine et Donald Trump pourrait très bien servir de catalyseur pour une prise de conscience dans plusieurs Etats-membres. L’intégration européenne continuera sans doute à se faire dans un genre d' »improvisation coordonnée », avec de nouvelles avancées certes « à la carte », mais avancées quand même. Elle s’appuiera sur le pouvoir têtu des procédures, des contrats, et de l’Etat de droit, et la remarquable résilience de ses institutions.
Dans de tels tourbillons politiques, chaque individu a le choix. Celui de rester simple « consommateur » du monde qui nous entoure et d’en subir les soubresauts sans les comprendre ; ou au contraire celui de se l’approprier en tant que « citoyen », qui s’informe sur ces évolutions, qui participe au débat public et qui exerce son droit de vote. Vu l’intérêt et l’attention qu’ils ont portés à cette conférence, les étudiants de l’ESSCA Bordeaux semblent d’ores et déjà avoir opté pour cette deuxième attitude.