C’est demain que les Portugais glisseront leur bulletin dans l’urne. Les résultats seront-ils similaires à ceux des élections précédentes, ou les lignes peuvent-elles encore bouger ? Cláudia Toriz Ramos, professeur en sciences politiques à l’Université Fernando Pessoa de Porto, apporte son expertise sur la question.
Chère Cláudia,
Les élections de dimanche seront-elles différentes des précédentes ? Ou est-ce que jamais rien ne change au Portugal ?
Portugal : un électorat ancré dans ses habitudes ?
Selon de récentes études et les tendances pré-électorales, il est raisonnable de penser que la coalition actuellement au gouvernement va l’emporter. On pourrait donc en déduire que les partis du centre ont les reins plutôt solides et qu’au Portugal, la crise n’a pas eu un impact aussi significatif sur l’échiquier politique que dans d’autres pays d’Europe. Pourquoi donc, au Portugal, les gens votent-ils comme d’habitude ?
Si le paysage des partis portugais est resté plutôt stable, c’est notamment parce que ce système s’est construit il y a seulement quarante ans sur le socle d’une révolution démocratique et parce qu’il porte depuis ses début une tendance forte vers le centre. La régularité des comportements de vote peut également s’expliquer par le fait qu’au Portugal, la socialisation politique se fait toujours en premier lieu dans l’environnement familial, plutôt qu’à l’école ou dans l’espace public.
Les citoyens sont habitués à se situer sur un axe gauche-droite, dans un système qui ne connaît guère d’extrême droite et qui a toujours un peu penché vers la gauche, avec un grand espace au centre, où les élections se gagnent.
Les tendances d’extrême droite ont été clairement rejetées en 1974. En outre, l’immigration, le grand thème des partis européens d’extrême droite, n’est pas importante au Portugal et globalement, l’attitude des Portugais envers les immigrés n’est pas hostile.
Le nationalisme de droite a tendance à s’opposer à l’intégration européenne, mais au Portugal, l’Union Européenne bénéficie toujours d’un soutien assez large, bien qu’un peu moins qu’avant la crise. En outre, les partis modérés de l’aile droite ont toujours été très prudents dans leur discours sur les questions de souveraineté nationale. Ainsi, bien que déçu par le gouvernement actuel, quelqu’un qui se définirait « conservateur » ou même « à droite» ou encore « libéral », aurait des difficultés à trouver une alternative et ne passerait pas aisément à gauche.
La PS a fait campagne autour d’un nouveau leader (bien qu’il s’agisse d’un ancien ministre et président du conseil municipal de Lisbonne), António Costa, plutôt populaire quand on le compare au Premier Ministre actuel. Mais il est connu pour son profil de « gauchiste », ce qui écarte le parti du centre. En outre, le PS porte encore le fardeau de la crise, car il était au pouvoir lorsqu’elle s’est déclarée. Sans parler de l’ex Premier Ministre socialiste, José Sócrates, placé en détention provisoire depuis novembre 2014 dans le cadre d’une enquête pour corruption et blanchiment d’argent.
A la gauche de la gauche, les communistes maintiennent l’intégrité de leur attitude politique et pourraient gagner quelques votes de protestation eurosceptique, tandis que le « Bloc de la gauche » s’est distingué en innovant dans l’histoire politique du Portugal, avec une femme en tête de liste ! Sinon, les nouveaux partis et autres petits partis sont à peine visibles. Ils manquent d’argent, de ressources logistiques et n’ont que peu de couverture médiatique.
La campagne a été dominée par des questions socio-économiques et elle a mis en exergue les nouveaux clivages engendrés et renforcés par les années de crise : chômeurs contre salariés ; secteur public contre secteur privé ; les jeunes contre les seniors ; le travail contre le capital. La classe moyenne a passé des moments durs et le nombre de jeunes diplômés qui quittent le pays est en augmentation. Cependant, plutôt que de mettre sur la table des choix économiques et idéologiques fondamentaux, le débat public se focalise sur les politiques de redistribution, soit pour le citoyen moyen, la face la plus visible des politiques conduites. Ceci signifie que les élections ne répondront pas aux questions les plus importantes. Dès lors, on est en droit d’être passablement inquiet pour ce qui viendra après.
Cláudia Toriz Ramos, is professor of political science at the Universidade Fernando Pessoa in Porto.
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