Deuxième volet de quatre analyses politiques sur la Pologne avant les élections législatives du dimanche 25 octobre, par Michał Buchowski, professeur d’anthropologie à l’Université Adam Mickiewicz de Poznań.
Cher Michał,
Quelle est l’ambiance générale avant les élections en Pologne ? Economiquement, le pays vient de connaître de très belles années, et pourtant, les gens semblent mécontents de leur gouvernement.
Malgré le succès économique, il y a un mécontentement latent
Sur les huit dernières années, sous le gouvernement de la « Plateforme civique » (PO), le PIB par habitant a augmenté en moyenne de 34% dans les douze grandes capitales régionales de Pologne. C’est au-dessus de 4% par an, ce qui est plus qu’impressionnant par rapport au reste de l’Europe, particulièrement lorsque l’on se rappelle que ces années ont été marquées par la crise financière. Même en 2008, la Pologne fut le seul pays européen à ne connaître qu’un léger ralentissement de sa croissance…
L’amélioration des infrastructures saute aux yeux : autoroutes, voies urbaines, réseau ferroviaire, trains, trams, complexes sportifs, piscines, hôpitaux, etc. Pourtant, les Polonais sont nombreux à ne pas être satisfaits. Ils déplorent que les effets de la croissance n’aient pas été redistribués équitablement, et nombre d’entre eux voient certes les choses s’améliorer autour d’eux, mais n’ont pas l’impression que leurs propres salaires et leur niveau suivent. Cette amertume n’est pas sans fondement : certains groupes sociaux ont le sentiment d’être les perdants, et certaines régions bénéficient moins des investissements que d’autres.
Il y a aussi le simple fait que les gens finissent toujours par se lasser du gouvernement en place, quels que soient ses accomplissements, et le PO dirige le pays depuis huit ans déjà. C’est long. A certaines occasions, le parti a été jugé arrogant, et de nombreux soutiens potentiels ont pu être refroidis par cela.
Par ailleurs, le mécontentement se nourrit de la peur. Et paradoxalement, l’intégration de la Pologne à l’Union européenne contribue à cette peur.
Bien sûr, la grande majorité des Polonais ne sont pas aveugles : ils sont bien conscients de toutes les améliorations que leur a apportées l’adhésion à l’Union. Mais en même temps, ils ressentent une peur culturelle, une anxiété diffuse face aux forces de la globalisation. Certains individus et certains groupes craignent d’être happés par la vague et de perdre l’identité de leur communauté dans un monde sans frontières, à la merci de ce cosmopolitisme vague que représente l’Union européenne.
La rhétorique de la droite exploite parfaitement cette anxiété en faisant le portrait d’une Pologne qui doit se défendre sur tous les fronts : au Sud contre l’Islam, à l’Ouest contre une Europe déprimée et décadente, à l’Est contre l’éternel danger russe, porté à son paroxysme par l’agressivité de la politique de Poutine. Assiégée par tous ces ennemis, la forteresse solitaire ne peut s’en remettre qu’aux bras d’inflexibles patriotes rassemblés sous la bannière blanche et rouge. C’est cette histoire que le PiS est en train de vendre avec succès auprès de ses sympathisants. Il reste tout de même difficile de croire que dimanche prochain, une majorité absolue de citoyens polonais achèteront cette idéologie anti-libérale qui se repaît de la peur.
Michał Buchowski est professeur d’anthropologie à l’Université Adam Mickiewicz de Poznań
et titulaire de la chaire en Etudes sur l’Europe Centrale à l’Université Viadrina de Francfort-sur-l’Oder.
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