Deuxième analyse sur les élections parlementaires turques qui auront lieu dimanche prochain.
Aujourd’hui, le point de vue d’Özgehan Senyuva, professeur à la Middle East Technical University d’Ankara, visiting professor à l’ESSCA en juin et juillet dernier.


Cher Özgehan,

Les nouvelles élections ont lieu seulement moins de quatre mois après les précédentes. Mais qu’est-ce qui a bien pu changer en si peu de temps ?

Le grand fossé

Dimanche, les citoyens turcs retourneront aux urnes pour élire leurs députés. Une fois de plus. Ces élections seront la copie conforme de celles qui ont eu lieu il y a 4 mois à peine, le 7 juin dernier. Comme aucun parti n’a réussi à remporter 276 sièges sur les 500 que compte la Grande Assemblée National Turque, des négociations ont dû être engagées afin de former une coalition. Lorsqu’à la grande satisfaction du Président Recep Tayyip Erdoğan, accessoirement fondateur et leader de l’AKP, le parti au pouvoir depuis 2002, ces négociations ont échoué, de nouvelles élections ont été inéluctables. Play it again, Sam!

Mais qu’est-ce qui a changé au juste depuis juin ?

Supporters of the HDP at a campaign rallye (source: wikimedia).

Supporters of the HDP at a campaign rallye (source: wikimedia).

La question principale des élections en juin était de savoir si le HDP, un parti de gauche, à dominance kurde mais ouvert à tous, allait obtenir les 10% du vote requis pour entrer au parlement. Dans le passé, le HDP avait toujours essayé de contourner ce seuil en nommant seulement des candidats individuels dans certaines circonscriptions. Sa décision d’entre en lice en tant que parti à part entière a bouleversé le paysage politique.

Comme il a obtenu 13% des suffrages, les sièges ainsi remportés l’ont été au détriment de l’AKP, traditionnellement bien représenté dans les régions à forte population kurde. Si le HDP était en revanche resté en-dessous du seuil de 10%, les sièges concernés auraient été raflés par l’AKP qui se serait alors trouvé dans une situation plus que confortable non seulement pour former le gouvernement (comme à son habitude), mais même de faire des changements dans la constitution.

Et c’est là que le bât blesse ! Mécontent des limites de pouvoir que lui impose avec sagesse la constitution, le Président Erdoğan a la ferme intention de transformer la démocratie parlementaire turque en régime présidentiel (pour ne pas dire « autocratique »).

Dimanche prochain, l’enjeu principal ne sera plus le score du HDP. Tous les sondages depuis juin lui promettent un maintien de ses 13% du vote. La question primordiale sera au contraire de savoir si l’AKP peut malgré tout gouverner seul ou non. Les enquêtes ne lui prédisent qu’environ 40% du vote national, mais le nombre de sièges se jouera dans des circonscriptions qui peuvent basculer d’un côté ou d’un autre.

En fait, aujourd’hui, le danger le plus grave pour la démocratie turque se situe bien au-delà des résultats d’élections. Il est dans la polarisation de la société qui est devenue dramatique et a fini par creuser un fossé profond au sein du peuple. La division la plus menaçante dans la société turque n’est plus celle entre des groupes ethniques, idéologiques ou socio-économiques, mais simplement entre supporters et adversaires de l’AKP. Ce n’est pas sain, et beaucoup s’inquiètent du lendemain des élections.


Özgehan Senyuva thumbnailÖzgehan Şenyuva est professeur de sciences politiques à la Middle East Technical University d’Ankara.

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