Plusieurs semaines après le retournement de situation gouvernementale au Portugal, Cláudia Toriz Ramos, professeur en sciences politiques à l’Université Fernando Pessoa de Porto, nous donne des nouvelles de la gauche, comme promis !
La gauche est en vie – je l’ai vue de mes yeux au Portugal
(Im)possible – c’est l’adjectif que j’avais choisi pour évoquer la possibilité d’une union de la gauche après les élections parlementaires au Portugal. L’expression signifiait qu’en théorie, ce n’était pas exclu, mais qu’en pratique, c’était illusoire.
Depuis 1974, jamais dans l’histoire de la démocratie portugaise il n’avait été possible de réunir les forces de l’aile gauche représentées au parlement pour contrer un gouvernement.
Jamais un parti qui n’avait pas remporté les élections, avait eu la possibilité de gouverner à la place du parti ayant recueilli le plus grand nombre de voix.
Et jamais le Parti Communiste (PCP) ne s’était montré prêt et apte à coopérer de manière constructive au Parlement.
Mais cette fois, tout cela s’est produit au grand étonnement de tous et à la désapprobation de certains.
Initialement, après les élections de 4 octobre, le Président de la République avait désigné le leader de la coalition de centre-droit (CDS-PSD), Passos Coelho, Premier Ministre. Mais son programme gouvernemental n’a pas été voté au parlement car l’ensemble de l’aile gauche s’est unie pour isoler le gouvernement.
Puis ce fut le temps de l’attente, alors que le Président cherchait une solution. La tâche n’a pas été aisée pour lui, car ses pouvoirs ont été considérablement affaiblis par les circonstances. En effet, les élections présidentielles auront lieu en janvier, ce qui selon la Constitution, ne lui permet pas d’utiliser son pouvoir de dissolution du Parlement et d’appeler à de nouvelles élections.
Après bien des atermoiements, António Costa, le leader du parti socialiste, arrivé deuxième lors des élections, a été nommé Premier Ministre le 26 novembre. Costa avait en effet réussi à négocier un accord parlementaire avec le BE (la gauche radicale), avec le PCP et les Verts. Ceci n’a été possible qu’en laissant de côté tous les désaccords majeurs sur des problématiques actuelles comme l’UE et l’union monétaire, ainsi que les controverses géopolitiques et idéologiques telles que le rattachement à la NATO (fermement préservée dans le programme gouvernemental), et en s’appuyant au contraire sur un minimum de dénominateurs communs : un programme anti-austérité intégrant de nombreuses mesures sociales et distributives. Bien que très réticent – au point de délivrer un discours d’investiture acerbe – le Président de la République a fini par reconnaître que cette option était finalement concevable.
Il s’agit d’un tournant majeur dans l’histoire politique du Portugal : c’est une brèche dans schéma gouvernemental qui depuis 1976, n’avait vu que trois partis pro-européens (CDS, PSD and PS) gouverner le pays.
Plus encore, cela requiert un réchauffement sans précédent des relations et du dialogue entre le PS et le PCP. Le mérite en revient à Costa (ce qui prouve que le caractère et la personnalité des individus restent très importants en politique). Il peut se revendiquer fin négociateur et persévérant, il en avait déjà fait la preuve lorsqu’il a rassemblé la gauche pour prendre la mairie de Lisbonne. Il a également des liens familiaux avec le PCP : son père, aujourd’hui décédé, avait été membre du PCP toute sa vie.
Ce sont tous ces facteurs conjugués qui ont fait que l’(im)possible est devenu possible. Le nouveau gouvernement (qui met l’accent sur l’inclusion sociale) est sur le point de débuter son mandate et le Conseil européen devrait être préparé à accueillir un négociateur retors et chevronné, dont les performances seront observées avec attention, de tous côtés.
Version originale en Anglais disponible ici.
Cláudia Toriz Ramos, is professor of political science at the Universidade Fernando Pessoa in Porto.