par Afke Groen & Patrick Bijsmans

L’an dernier, beaucoup de prédictions ont été balayées par le vote britannique en faveur du Brexit et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis. L’économiste irlandais David McWilliams a baptisé 2016 « l’année de l’outsider ». Cette année, on nous prédit la même chose, avec des élections importantes à travers l’Europe. Beaucoup considèrent les élections aux Pays-Bas, ce mercredi, comme « le premier test grandeur nature » de ce qui adviendra. Et le leader populiste Geert Wilders a d’ores et déjà annoncé un « printemps patriotique » qui augmentera encore la pression sur une Union européenne ébranlée. Dans notre analyse d’aujourd’hui, nous souhaitons mettre en doute cette idée répandue selon laquelle les élections néerlandaises seraient le coup d’envoi d’un « printemps patriotique », c’est-à-dire d’une période au cours de laquelle « le peuple » reprendra le contrôle de la main des « élites » sur le plan national et européen.

Campagne pro-européenne, contre l’idée du « Nexit ».

Premier constat : dans cette campagne électorale, « l’Europe » n’a guère joué un rôle principal. Même Wilders semble s’éloigner de ce sujet ! Comme le démontre le chercheur Stijn van Kessel de l’Université de Loughborough, les données montrent clairement que les Néerlandais n’en veulent pas du « Nexit » que Wilders réclame. D’autres thèmes ont dominé la campagne. Tout d’abord celui de l’économie néerlandaise, et notamment la question de la bonne politique pour une période marquée par un excédent budgétaire et un taux de chômage très bas.

C’est curieux : normalement, l’économie est un sujet que les Néerlandais aiment relier à l’Union européenne, généralement en se plaignant (« trop de bureaucratie ! », «  c’est toujours nous qui payons pour les autres ! », « plus d’argent pour la Grèce ! », etc.). Mais cette fois-ci, rien de tout cela. Les politiques ont débattu la question de ce qui est vraiment important pour la société néerlandaise : l’excédent devrait-il être investi pour créer des emplois ? Pour réformer le système de santé ? Pour investir dans des mesures contre le changement climatique ? Pour améliorer l’éducation nationale ?

Autre sujet dominant : qu’est-ce qui constitue l’identité néerlandaise dans la globalisation ambiante ? La théorie du « printemps patriotique » présupposerait des débats animés sur l’identité nationale menacée, bien sûr, par des élites cosmopolites et la pression de l’extérieur. Pourtant, dans la campagne actuelle, la discussion s’est avérée plutôt nuancée, se focalisant sur la question comment redéfinir l’identité nationale sans pour autant rejeter l’immigration et l’intégration européenne. Ainsi, le leader des Démocrates Chrétiens, Sybrand Buma, voudrait simplement raviver les symboles nationaux, promouvant l’idée de faire chanter les élèves l’hymne national à l’école. Jesse Klaver, le leader des Ecologistes de « GroenLinks », s’est fait le défenseur d’une culture d’inclusion, de tolérance et de diversité.

Quant à Wilders, tout indique qu’il se trouvera très vraisemblablement sur la touche après le 15 mars. D’abord, la plupart des partis ont affirmé qu’ils ne souhaitent pas coopérer avec lui. Ensuite, les derniers sondages publiés une semaine avant les élections suggèrent qu’il ne gagnera pas le nombre de votes élevé qui lui semblait promis il y a quelques semaines encore. Cela ne signifie pas que les idées de Wilders soient désormais ignorées. Comme cela s’est souvent passé dans l’histoire politique néerlandaise, les grands partis traditionnels absorbent certaines idées venant des marges du paysage politique, et les idées populistes voire nationalistes de Wilders sur des thèmes comme l’immigration et l’intégration européenne ont déjà fait leur chemin. Rien que le fait que l’identité néerlandaise ait été au cœur de la campagne peut parfaitement être attribué à l’impact de Wilders sur le discours ambiant.

Le printemps aux Pays-Bas: des fleurs, pas de nationalisme !

N’empêche que le fameux « printemps patriotique » tant annoncé semble avoir déclenché un mouvement contraire. Souvent, on a tendance à considérer « l’essor de la droite populiste » comme un processus linéaire, du Brexit, en passant par Trump, jusqu’à Marine Le Pen. Mais il s’oppose à ces idées populistes de repli identitaire représentées par Wilders et consorts un ensemble de croyances qui défendent la diversité et l’ouverture vers l’extérieur. Aux Pays-Bas, l’illustration la plus visible de ce contre-courant est le soutien dont bénéficient des partis comme le « D66 » social-libéral ou les Verts. Et on observe des tendances similaires en France et en Allemagne, où le pro-Européen Emmanuel Macron et l’ancien président du Parlement européen Martin Schulz obtiennent respectivement des scores inespérés dans les sondages d’opinion. Tous les deux insistent aussi sur l’ouverture vers l’extérieur, sur la tolérance dans le vivre-ensemble, et sur le besoin de coopérer au niveau européen.

Tout compte fait, serait-il possible qu’au lieu d’inaugurer un « printemps patriotique » plein de promesses pour l’extrême-droite populiste, les élections néerlandaises donnent le signal d’un retour de balancier en Europe ?



Patrick Bijsmans
est Maître des conférences en études européennes au Département de Science Politique de l’Université de Maastricht. Sa recherche porte notamment sur les médias et l’Euroscepticisme, mais aussi sur l’enseignement et l’innovation pédagogique.

Afke GROEN est doctorante à la Faculté des Arts et Sciences Sociales de l’Université de Maastricht et à l’Amsterdam Institute of German Studies. Sa thèse porte sur les pratiques de coopération transnationale entre les partis politiques en Europe.

A l’occasion des élections générales aux Pays-Bas, ils ont accepté de contribuer à notre série « Mails d’Europe ».

Cliquer ici pour découvrir d’autres mails d’Europe.

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