Des élections en Autriche ? Encore ?
La plupart des non-Autrichiens sont surpris d’apprendre qu’il y a des élections en Autriche dimanche 15 octobre. Des élections, déjà ? Ne viennent-ils pas de voter ?
Si si. Pas plus tard que décembre dernier, l’Autriche a été amenée à répéter ses élections présidentielles, pour voir le candidat vert Alexander van der Bellen remporter le vote par une marge infime (50,3%) contre Norbert Hofer, le candidat (très) à droite du Parti de la Liberté (FPÖ). Bien que les Présidents ne jouent qu’un rôle marginal dans la politique quotidienne de la République, cette bataille d’idées très symbolique a attiré sur elle beaucoup d’attention internationale.
Ce qui se passera dimanche prochain est en fait bien plus important. Ces élections parlementaires anticipées risquent de suivre la tendance « à droite tous » que l’on a pu observer lors des élections allemandes en septembre.
Pourquoi des élections anticipées ?
En mai 2017, la coalition gouvernementale entre les Sociaux-Démocrates (SPÖ) et le Parti Conservateur (ÖVP) a cédé à la demande du parlement d’organiser des élections anticipées. A ce moment-là, le désamour entre les deux partenaires avaient éclaté au grand jour, après des mois de conflits larvés et de désunion flagrante. La démission du chef de l’ÖVP et Vice-Chancelier Reinhard Mitterlehner a donné le coup de grâce à la coalition. Du coup, l’ÖVP s’est mis à genou pour demander leur jeune ministre Sebastian Kurz, boosté par des taux de popularité invraisemblable, de prendre les rênes du parti. Kurz accepta, mais imposa ses conditions : une maîtrise totale des questions de personnel, et une campagne sous le label « Liste de Sebastian Kurz – la nouvelle ÖVP ». Un vrai hold-up !
Surtout plus de grande coalition !
C’est la quintessence du discours politique actuel. Les citoyens ne supportent plus l’idée d’une autre « Grande Coalition » entre les deux grands partis traditionnels, synonyme d’ennui, de luttes internes et de stagnation. Ce qui en septembre 2013 apparaissait encore comme un moindre mal – par rapport à une entrée au gouvernement du FPÖ, dont la réussite en 1999 avait suscité beaucoup d’inquiétude, voire des sanctions en Europe – a fini par tourner à la zizanie permanente entre deux partis gouvernementaux en désaccord sur presque tout. Pas vraiment idéal pour reconcilier les citoyens avec les grands partis traditionnels qui, à la sortie des urnes, avaient déjà été au plus bas depuis les débuts de la Deuxième République.
Sans même parler des scandales !
La campagne la plus ordurière de l’histoire autrichienne !
Des scandales à répétition ont marqué la campagne. A la surprise de tout le monde, ce n’est pas le coupable habituel, l’extrême-droite du FPÖ, qui a franchi les bornes, mais les deux grands partis eux-mêmes ! Tout au long de la campagne, ils ont navigué d’une révélation embarrassante à une autre. Le sommet a été atteint avec « l’affaire facebook » qui a fait la honte du SPÖ ces dernières semaines. Après le limogeage de leur consultant Tal Silberstein pour des allégations de blanchiment d’argent, les journalistes ont commencé à enquêter. Ils ont découvert des pratiques ignominieuses sur les réseaux sociaux faisant preuve d’un cynisme sans précédent. En fait, Silberstein avait mis en place tout une équipe (composé, qui plus est, de collaborateurs proches du rival ÖVP) qui animaient des groupes facebook apparemment en soutien de l’adversaire Sebastian Kurz, mais qui s’est mis soudainement à le discréditer à travers des attaques personnelles et calomnieuses. Le directeur de campagne du SPÖ a aussitôt démissionné, mais la question reste ouverte si le Chancelier Kern avait été informé de ces pratiques. Et s’il n’avait pas été au courant, qu’est-ce que cela suggère sur sa capacité de diriger son parti, sans même parler du pays ?
D’autres scandales, de moindre envergure, éclate sur un rythme quasi-quotidien : comment se fait-il par exemple que l’ÖVP de son côté utilise des slogans initialement conçus, mais non publiés, par la gauche ? Pendant ce temps-là, les Verts ont vu partir l’un de leurs plus anciens dirigeants, Peter Pilz, pour fonder sa propre liste en dissidence.
Une grande clarification des positions
Le seul effet secondaire bénéfique de cette campagne de 2017 a été que les partis ont été obligés de clarifier leurs priorités politiques.
La Chancelier Kern, issu de la fraction du SPÖ qui est proche des entreprises, est considéré comme un intellectuel calme, respecté, et expérimenté. Il a réussi à re-focaliser son parti sur ce qui fait son identité : la défense d’un Etat fort qui par ses interventions garantit une société juste qui protège le citoyen. On peut cependant se demander pourquoi il ne l’a pas mieux défendu durant les quatre dernières années, alors qu’il était au pouvoir… Ceci dit, certains observateurs reconnaissent qu’il y a effectivement ces derniers mois un recentrage sur les positions qui sont au cœur de la Social-Démocratie.
De l’autre côté, Sebastian Kurz et son « nouveau » ÖVP, préconisent la rupture avec les vieilles structures de l’Etat et des partis, afin de faire advenir « une nouvelle juste sociale ». Cette dernière se définit par la promesse donnée aux Autrichiens qui travaillent dur de mieux s’en sortir, par une réduction de la bureaucratie et des interventions de l’Etat, et surtout par l’exclusion des « parasites sociaux » (et des étrangers !) des programmes d’aide étatique. Kurz est cependant moins éloquent quand il s’agit de préciser comment exactement il compte réaliser ses objectifs. Lors des derniers débats télévisés, il s’est surtout contenté de taper sur le politique européenne et les décisions d’autres leaders politiques (comprendre : Angela Merkel) qui ont fait tant de mal à l’Autriche, plutôt que d’avancer des stratégies politiques propres.
Quant au FPÖ et leur leader Heinz-Christian Strache, ils ont une grande priorité : l’Autriche pour les Autrichiens (traduction : virer les migrants hors du pays !) Strache insiste à attaquer Kurz pour ne pas avoir fermé les frontières durant l’arrivée massive de réfugiés syriens en 2015, mais à part cela, ils ont montré une telle proximité durant les débats que plus d’un les a déjà nommés « Le futur Chancelier et son futur Vice-Chancelier ».
Dans un climat politique marqué par un glissement très tangible des partis principaux vers la droite, les Verts restent finalement le dernier parti ancré à gauche, que ce soit sur des thèmes économiques, sociétaux ou Européens. Ils sont les seuls à mettre le changement climatique et l’impact environnemental tout en haut de leur agenda. Il y a, enfin, le mouvement libéral NEOS qui intrigue les électeurs par la pluralité de leurs positions, mais ils ont gagné un certain respect pour compter dans leurs rangs de nombreux entrepreneurs connus et pour avoir réussi à attirer la juriste respectée Irmgard Griess, ancienne candidate présidentielle et gage de visibilité.
Alors, à quoi faut-il s’attendre ?
Les sondages confirment la tendance des dernières années : l’ÖVP est boosté par le charisme de son jeune leader. Sebastian Kurz est apprécié par beaucoup d’Autrichiens pour sa jeunesse – il n’a que 31 ans ! – et son image de gendre parfait, mais aussi pour sa promesse du changement (même si beaucoup ne semblent pas réaliser que le changement annoncé ne sera guère en leur faveur). L’ÖVP court seul en tête. Ce qui n’est pas clair est qui finira deuxième : le FPÖ parviendra-t-il à doubler le SPÖ ?
Ce que les sondages indiquent cependant très clairement, est qu’il n’y aura pas beaucoup d’options de coalition. Le dédain réciproque qui s’est manifesté ces derniers mois entre Kern et Kurz rend impossible une réédition de la Grance Coalition. Pour l’ÖVP, il faudrait que Kern démissionne aussitôt pour que le SPÖ devienne un partenaire envisageable. Il est plus probable de voir une coalition entre ÖVP et FPÖ, ce qui dépend aussi de qui le Président de la République chargera de former le gouvernement (l’un de ses rares prérogatives !).
La victoire attendue de la Droite n’aura rien d’une surprise. Comme en Allemagne, les Sociaux-Démocrates ont perdu leur profile en participant à la Grande Coalition. Comme en Allemagne, le discours politique a continuellement glissé vers la droite ces dernières années : la droite modérée adopte des positions toujours plus dures sur les sujets liés à la migration, et les Sociaux-Démocrates s’alignent souvent par peur d’aliéner le vote populaire. Le SPÖ n’est qu’au début d’un retour vers ses valeurs propres, et étant donné la faiblesse actuelle des Verts, une coalition de centre-gauche n’est tout simplement pas réaliste cette fois-ci.
Heidi Maurer est docteur en sciences politiques.
Après avoir été professeure assistant à l’Université de Maastricht depuis 2008,
elle vient d’accepter un post de chercheure à la London School of Economics (LSE).
C’est une experte reconnue en politique étrangère de l’Union européenne,
mais aussi en méthodes pédagogiques.
A suivre sur Twitter @heidi_maurer et sur son site http://www.heidimaurer.eu/