Article écrit par Antonella Forganni (ESSCA EU*Asia Institute) et Benjamin Pothier (University of Plymouth) pour The Conversation.
Les missions spatiales coûtent trop cher pour laisser quoique ce soit au hasard. Alors, les agences spatiales les préparent minutieusement sur Terre, avec des reconstitutions d'environnements lunaires ou martiens dans lesquels des volontaires sont isolés pendant des mois afin de tester les combinaisons spatiales et leur résistance psychologique.
Benjamin Pothier, co-auteur de cet article, a vécu l’expérience et fait le rapprochement avec les rites initiatiques traditionnels.
Le 25 septembre dernier l’Agence spatiale européenne (ESA) et le Centre aérospatial allemand (Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt, DLR) à Cologne ont inauguré une installation tout à fait particulière nommée LUNA.
Elle a pour objectif d’aider à la préparation des prochaines missions lunaires, en permettant de reconstituer un environnement similaire, pour certains aspects, à celui du satellite naturel de notre planète.
Sur une surface de 700 mètres carrés, LUNA reconstitue l’ambiance lunaire avec 750 tonnes de « sable » modifié pour imiter le régolithe (le sol lunaire), un « simulateur solaire » qui reproduit le cycle jour-nuit de la Lune, et divers dispositifs pour effectuer des tâches comme les prélèvements.
En d'autres termes, elle fait partie de ce que l'on appelle les « analogues », des environnements de simulation qui accélèrent la préparation des missions spatiales.
Ce projet s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par les principaux acteurs du secteur spatial pour réaliser les progrès scientifiques nécessaires à de nouvelles missions ambitieuses, comme le retour sur la Lune prévu par les accords Artemis, une étape intermédiaire pour ensuite se diriger vers Mars.
Les analogues sont des structures développées dès les premières missions spatiales, surtout lors du programme Apollo.
Leur nombre a fortement augmenté ces dernières années : la NASA en a déjà présenté au moins une vingtaine, afin de tester des équipements, des robots, des technologies, et les interactions humaines dans des conditions particulières.
L’objectif est de préparer de futures missions spatiales grâce à des simulations terrestres.
Dans la plupart des cas, les participants ne sont pas de futurs astronautes, mais répondent à des critères précis liés à l’objectif de chaque analogue.
Les missions spatiales étant à haut risque, il est essentiel de réaliser des tests sur Terre, dans des environnements spécifiques, pour anticiper les problèmes possibles.
Les analogues sont donc situés dans des environnements isolés, confinés et extrêmes, comme l’Antarctique, qui reproduisent partiellement les conditions de l’espace.
Les tests réalisés lors des missions fictives dans les analogues peuvent concerner les équipements, tels que les combinaisons des astronautes, mais aussi des conditions de travail inhabituelles, comme l’apesanteur, en exploitant par exemple l’environnement sous-marin.
Ils peuvent également porter sur le « facteur humain », c’est-à-dire sur la manière dont un groupe de personnes arrive à travailler ensemble en bonne entente ou sur les types de qualités humaines nécessaires à la réussite d’une mission – par exemple la résistance au stress et au confinement prolongé, la concentration, la résilience…
Pour cette raison, il est intéressant de solliciter des profils très différents, des artistes aux ingénieurs, des militaires aux anthropologues.
C’est le cas de Benjamin Pothier (un des auteurs de cet article), qui combine des expériences en recherche universitaire en anthropologie, en création artistique (photographie, cinématographie, space art) et en exploration géographique en milieux extrêmes, un atout pour ce type de projet.
Benjamin a participé à plusieurs missions sur des analogues spatiaux.
Il peut ainsi témoigner sur ce que signifie vivre dans ces conditions extrêmes, où il faut parfois cohabiter avec des inconnus, dans des espaces limités, pour une période parfois relativement longue, sans contact avec l’extérieur ou très peu.
Dans son essai, il explique les similitudes frappantes, ainsi que les différences, entre les missions au sein d’analogues spatiaux et les rituels d’initiation.
Il cite, parmi les exemples d’analogues célèbres, l’habitat HI-SEAS, installé par la NASA dans un environnement volcanique hostile à Hawaï, pour simuler des missions sur Mars.
La simulation implique ici des contraintes telles que des réserves d’eau limitées, une nourriture préparée comme pour les missions dans l’espace, l’utilisation de reproductions des combinaisons des astronautes, etc.
Un ensemble de contraintes « psychophysiologiques », qui trouvent un écho dans la manière dont sont structurés les rituels initiatiques.
En effet, de nombreux rites de passage, surtout ceux liés au passage à l’âge adulte, incluent souvent des éléments d’enfermement et des épreuves d’endurance physique et psychologique (privation de sommeil, jeûne, exposition au froid ou au soleil).
Ces rites peuvent également comporter des douleur (coups, flagellations, piqûres d’insectes), des interdits alimentaires et des situations vexatoires (selon Julien Bohomme).
Ces éléments résonnent avec les conditions des missions analogues qui simulent la dure réalité de la vie dans l’espace : privation de sommeil, confinement, régimes alimentaires spécifiques, accès réduit à l’eau courante pour la toilette quotidienne et relative promiscuité, épreuves d’endurance physique, exposition au froid, au danger, au stress et à la fatigue et manque de sommeil sont autant de facteurs propres aux missions analogues.
De nombreux sites d’essais analogues tels que les grottes souterraines, les volcans et les montagnes sont aussi, oserait-on dire « depuis la nuit des temps », des lieux dédiés à des rites de passage et autres expériences mystiques ou religieuses.
Ils constituent ainsi des environnements propices à l’isolement, au dépassement de soi, à la confrontation au danger, etc.
Cependant, le niveau de réalisme varie d’un analogue spatial à l’autre. Selon leur objectif spécifique, les analogues peuvent isoler un groupe de personnes dans un espace sécurisé et restreint pour tester leurs réactions et le défi psychologique, ou les placer dans des environnements hostiles pour tester des équipements lors des sorties extravéhiculaires.
L’analogue LUNA, installé à Cologne, en Allemagne, où se trouve le centre de formation des astronautes de l’ESA, ressemble davantage à des bases comme le projet MARS500 de l’Institut des problèmes biomédicaux de Moscou, construit dans les années 2010 pour simuler un voyage et une mission martienne.
Il est également comparable au projet HERA de la NASA, qui se trouve au Johnson Space Center et simule des missions spatiales de longue durée.
L’un des principaux atouts de l’installation LUNA est sa nature ouverte, accessible aux agences spatiales, aux universitaires et l’industrie spatiale du monde entier.
Cette approche incarne la politique européenne d’accès libre dans le domaine spatial, à l’image du programme Copernicus de l’Union européenne qui rend ses données d’observation de la Terre accessibles à tous.
Par sa nature même, l’espace est considéré comme la prochaine frontière pour l’humanité.
L’accélération des progrès technologiques de ces dernières années soulève la question des prochaines étapes de son exploration et d’un séjour prolongé des êtres humains dans cet espace.
La commercialisation de l’espace, avec des acteurs du secteur privé en première ligne, tels que SpaceX, pose des questions de gouvernance et de réglementation.
Dans ce contexte, l’Europe prône une approche coopérative plutôt que rivale vis-à-vis des autres acteurs internationaux, et promeut des valeurs d’ouverture plutôt que d’exclusion, comme le démontre l’accessibilité de l’analogue LUNA.