En début de mois, j’ai eu le privilège d’être invité à New Delhi (et c’était ma première fois) pour assister à la conférence European and Indian think tanks sur la thématique: « L’UE et l’Inde : partenaires particuliers en gouvernance globale ? »
L’événement était organisé par les think-tanks EU-Asia Centre et EPC, avec le soutien financier de la Fondation Friedrich Ebert et la Délégation de l’UE en Inde.
Cette rencontre était une étape importante au regard des efforts diplomatiques que l’UE met en place pour resserrer ses liens avec l’Inde afin de revitaliser et de nourrir le dialogue politique très limité qui existe entre elles.
En fait, depuis 2004, il existe un partenariat stratégique, mais sur le papier seulement, car en réalité leurs relations sont si froides qu’il n’y a eu aucune rencontre au sommet depuis 2012. Si les relations entre l’Inde et l’UE sont si timides, c’est parce qu’elles ne se prêtent pas vraiment attention. Malheureusement, il y a encore trop peu d’entrepreneurs, de diplomates, d’universitaires et de chercheurs européens à porter leur regard vers l’Est, et ceux qui le font n’ont d’yeux que pour la Chine, moi y compris (et pour être honnête, nous sommes déjà très occupés à analyser l’Empire du Milieu).
L’Inde, à l’inverse, n’est pas suffisamment étudiée et elle est mal comprise. Cela peut paraître étonnant, mais après cette conférence, j’ai vraiment le sentiment que les Européens en sont encore à essayer de comprendre comment l’Inde fonctionne en fait. Les Britanniques en ont peut-être une meilleure compréhension, de par leur passé colonial commun, mais le reste de l’Europe en sait très peu sur l’Inde (en Espagne, le sujet est quasi inexistant). Je suis le premier à reconnaître que j’ai passé trop peu de temps à m’intéresser à ce pays membre de BRICs, qui compte 1.3 milliard d’habitants et qui sur bien des points a encore plus de potentiel de croissance que la Chine. Mais le plus inquiétant reste qu’il y ait en Europe un manque flagrant d’experts sur l’Inde.
Il se trouve que tant que l’UE et l’Inde seront à ce point absorbées par leurs problématiques internes, elles ne prendront pas le temps de s’ouvrir au reste du monde.
L’Union européenne gère les crises les unes après les autres car il n’y a pas d’union politique. La crise de l’Eurozone, la crise ukrainienne, la crise des réfugiés, la crise de Daech,… L’Europe est à ce point autocentrée et l’Union divisée sur ses problèmes internes, que l’un des participants de Bombay a déclaré que pour la plupart des Indiens, et mêmes les hommes d’affaires, l’Union Européenne n’existait pas. Pour eux, il y a l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et peut-être l’Italie. Mais l’UE est un « Objet non identifié en perdition ».
D’un autre côté, il se trouve que l’Inde est elle aussi accaparée par ses problèmes internes. Elle aussi est autocentrée. Comme l’Europe, c’est une fière civilisation millénaire qui, au travers de la globalisation, fait l’expérience de lourds changements. Avec l’arrivée de Narendra Modi au pouvoir, il existe un véritable enthousiasme à poursuivre les réformes structurelles. L’Inde est encore un pays très pauvre (le PIB par habitant est de $5.000) et les inégalités sont légion. De ce fait, il y a déjà beaucoup de devoirs à faire à la maison. Du point de vue de Delhi, la Chine peut se permettre d’étudier et d’appréhender l’UE et de dépenser du capital financier et politique (sous forme d’investissements) sur le Vieux Continent. L’Inde n’en est pas encore là.
Selon moi, la leçon à tirer de ce voyage est essentiellement que l’UE et l’Inde ont besoin d’apprendre à se connaître avant de se trouver des intérêts communs. En ce sens, tant qu’un certain degré de connaissance réciproque ne sera pas atteint, toute stratégie de partenariat sera vaine. Nos homologues indiens nous ont d’ailleurs confié que les relations sont encore trop déséquilibrées, et que tant que l’Europe ne reconnaîtra pas cela et ne fera pas davantage de concessions, alors un accord de libre-échange ne pourra être envisagé. Les entreprises indiennes ne sont simplement pas en mesure d’être compétitives face aux entreprises européennes. Ils n’ont sans doute pas tort, même si l’on peut questionner la pertinence de leur protectionnisme vis-à-vis de la concurrence étrangère. L’histoire économique montre que les pays qui se sont ouverts (la Chine, et même l’Espagne qui était fermée il y a 40 ans encore) ont fait mieux que ceux qui sont recroquevillés. Bien sûr, malgré tous les avantages, chaque accord de libre-échange créé des perdants et des gagnants et il incombe aux autorités politiques de redistribuer les bénéfices de la croissance. Quant à savoir si le système politique indien est capable de cela, c’est la grande question, et elle ne sera pas réglée avant longtemps.
Si l’accord de libre-échange semble pour le moment hors d’atteinte, que peuvent faire l’UE et l’Inde en attendant ? Le conseil le plus avisé serait peut-être d’oublier les grandes stratégies liées à la gouvernance globale, et de se focaliser davantage sur de petites choses. Tout d’abord, le joint action plan, signé en 2005, devrait être révisé. Il a 10 ans, un nouveau plan devrait désormais prioriser les choses à faire. La liste de 2005 est tout simplement trop longue. La collaboration en matière de sciences et de technologies est manifestement solide. Il faut la renforcer. A ce sujet, il existe des intérêts communs dans le domaine de la protection de l’environnement (New Delhi a désormais un air encore plus pollué que celui de Pékin, j’en ai fait l’expérience !). Travailler à purifier l’air et l’eau devrait être une priorité commune, tout comme construire des villes intelligentes. Même chose pour ce qui concerne les questions de sécurité non traditionnelles (parmi lesquelles la cyber sécurité). Mais l’UE n’est pas encore un acteur de la sécurité, alors oublions cela, pour le moment.
Lorsqu’on en vient à des questions plus géostratégiques, les think-tanks entre l’UE et l’Inde devraient très certainement se focaliser sur deux domaines d’intérêts communs :
1) le pouvoir des USA est-il en déclin, et si oui, quelles en seront les conséquences pour l’Inde et l’UE ?
2) que fait-on du « One Belt One Road (OBOR) Initiative » de la Chine ? Cela va-t-il changer l’Asie et l’Europe ? Sur ces sujets (et d’autres) je souhaite continuer à travailler avec mes collègues indiens – ce serait déjà un bon moyen d’apprendre à se connaître.
Miguel OTERO-IGLESIAS Senior Analyst at the Elcano Royal Institute and Research Associate at the EU-Asia Institute (ESSCA School of Management) in Paris. His main areas of research are: European economy and emerging markets, European Monetary Union (EMU) and other regional monetary cooperation projects worldwide, international monetary and financial affairs, the power triangle between the EU, China and the US, Europe (especially Germany) in the era of emerging markets, models of capitalism and theories of money and power. He is also the co-initiator of the first European Citizens’ initiative Fraternité 2020. Find original English version here.