« Le Mad Max 2015 est contemporain de toutes les catastrophes écologiques, qui laissent les hommes exsangues et cabossés », écrivait Caroline Besse dans Télérama le 13 mai 2015 (1). Dans son article, qui, en particulier, glosait sur le Perfecto porté par le héros, elle omettait de mentionner la polémique relative aux dégâts environnementaux que le tournage du film aurait causés et que le Guardian avait révélés en mars 2013 (2). Cela peut surprendre, puisque le film est censé délivrer un message écologique. L’apparente contradiction a cependant été écartée par le réalisateur des Mad Max, George Miller. Il soulignait en effet que, si l’histoire contient un volet environnemental, celui-ci demeure implicite. Son observation est une manière d’évacuer la contradiction, mais qu’a-t-il voulu dire exactement en évoquant l’« implicite » (3) ?
L’interview de George Miller est parue dans l’édition de mai-juin 2015 du Sierra Magazine sous le long titre : « Fury Road: all your darkest environmental nightmares come true. Is there an environmental message at the core of George Miller’s new high-octane « Mad Max » film? » (« Fury Road : vos pires cauchemars écologiques deviennent réalité. Y a-t-il un message environnemental au cœur du nouveau et explosif Mad Max ? ») (4). Il est d’autant plus logique que le magazine ait invité le réalisateur du quatrième Mad Max que les films d’animation « Happy Feet », dont il est également l’auteur, délivraient un message écologique très explicite.
Bien que l’interview ne mentionne pas les dégâts que l’équipe de tournage aurait causés à l’écosystème du désert de Dorob en Namibie avant que celui-ci ne soit classé comme parc national (5), elle aborde la question environnementale. Voici, pour commencer, un bref extrait du dialogue :
Sierra Magazine – Un message environnemental se cache-t-il derrière les scènes d’explosions et de courses-poursuites, ou votre intention était-elle seulement de divertir ?
George Miller – Le film contient un volet environnemental, mais il est implicite (it’s in the subtext). Le plus triste, c’est que, dans la mesure où nous voyons déjà autour de nous des manifestions de la dégradation environnementale, il n’est pas nécessaire de chercher à convaincre le public.
George Miller ajoute plus loin que « le film n’essaie pas de faire la chronique de la catastrophe écologique du monde, il dit simplement : « Voici le monde qui reste après ça » ». À propos de la grande importance accordée aux bolides qui foncent dans le désert, Miller conclut : « En fait, j’aime les films silencieux qui sont surtout portés par les courses-poursuites et l’action. Pour moi, ils représentent du pur cinéma. Voilà mon conflit : j’aime vraiment les films d’action, même si la dégradation de la planète m’inquiète énormément. »
Grâce à ces commentaires rhétoriques et introspectifs, on comprend un peu la raison pour laquelle le message environnemental du quatrième épisode de Mad Max est implicite et non explicite. En vérité, le procédé souligné par Miller est cohérent avec la définition du mot « implicite ». L’implicite est le mode de communication d’un message « qui, sans être énoncé expressément, est virtuellement contenu dans un raisonnement ou une conduite », selon la définition du CNRTL. Celle-ci reproduit d’ailleurs une définition relative à une « proposition implicite » qui est pertinente pour notre propos :
Proposition implicite. Elle [la proposition] est implicite, imparfaite ou elliptique, lorsque le sujet ou le verbe ne sont pas exprimés, et que l’on se contente d’énoncer quelque mot qui, par la liaison que les idées accessoires ont entr’elles est destiné à réveiller dans l’esprit de celui qui lit le sens de toute la proposition (Du Mars. t. 5 1797).
Cette ancienne définition rend compte de l’activité interprétative et cognitive associée au domaine de l’implicite. L’implicite stimule un processus d’interprétation et de construction du sens. Ce processus d’associations de sens (« la liaison [des] idées accessoires ») suscitées par un stimulus peut être en partie (ou uniquement) automatique. Dans l’un des rares articles de la littérature de l’éthique des affaires portant sur les attitudes implicites (plus précisément les attitudes morales implicites), il est rappelé d’emblée leur caractère automatique qui les distingue des attitudes explicites : elles sont « des évaluations d’origine inconnue qui sont activées automatiquement » (6). Elles sont de nature préconsciente sans échapper totalement au contrôle du sujet : ce dont il n’a pas conscience, ce n’est pas du contenu de l’attitude implicite (par exemple un préjugé), mais de son effet causal sur son évaluation ou son jugement. Il en est de même pour les « associations implicites » de concepts qui sont souvent activées conjointement sans que le sujet en ait conscience (par exemple le travail et le prestige) (7).
L’observation de Miller relative au subtext a-t-elle à voir avec la cognition sociale implicite ? Elle ne va certainement pas jusqu’à viser l’activation de concepts implicitement (et préconsciemment) associés. Elle porte plutôt sur les effets totaux résultant de la narration. Quand Miller affirme qu’une « histoire touche la totalité de l’être humain », qu’elle concerne « les émotions, l’intellect et l’esprit », qu’elle « vous suit en-dehors du théâtre, revient vers vous et vous conduit à penser à elle », il ne se réfère pas à la recherche intentionnelle d’une activation d’associations implicites où figurerait en l’occurrence le souci de l’environnement, mais à un effet totalisant résultant de la projection de ses propres perceptions. C’est ce qu’il exprime dans cette belle phrase : « Je ne fais que raconter une histoire qui répond à la manière dont je perçois le monde » (I’m just telling a story in response to the way that I perceive the world). Une manière d’interpréter cette phrase est d’affirmer que pour susciter, chez les spectateurs, un souci de l’environnement, mieux vaut éviter à la fois de faire explicitement la morale et d’émailler la narration de stimuli susceptibles d’activer des associations implicites vertueuses. « Ni explicite, ni implicite », aurait pu dire Miller pour rendre compte de sa formule : It’s in the subtext.
Alain Anquetil
(1) « Blouson maudit », Télérama, 3049, 13 mai 2015.
(2) « Mad Max: Fury Road sparks real-life fury with claims of damage to desert », que l’on peut traduire par : « Mad Max: La route de la colère déclenche une vraie colère à la suite d’allégations de dommages causés au désert » (au Canada, le titre en français est Mad Max: La route du chaos).
(3) Plus précisément l’idée de « subtext » : « There is an environmental story, but it’s in the subtext » – subtext dénotant un sous-entendu, un sens caché, une signification implicite ou métaphorique, comme l’indique le Merriam Webster.
(4) Le magazine est publié par le Sierra Club, une association écologiste américaine qui s’est notamment fait connaître au début des années 70 dans l’affaire du Mineral King Ski Resort.
(5) Des dégâts qui auraient été partiellement effacés par les équipes de tournage. Voir « Max Max ‘Fury Road’: Environmental Ethics in Filmic Texts and Production », Ecomedia Studies, 13 mai 2015. On pourra également se référer à « Mad Max aurait saccagé le désert de Namibie » (RTL), « Le tournage de Mad Max 4 aurait ravagé une partie du désert de Namibie » (Maxisciences) et « Le tournage de Mad Max 4 accusé de destructions dans le desert de Namibie » (L’Express).
(6) N. Marquardt & R. Hoeger, « The effect of implicit moral attitudes on managerial decision-making: An implicit social cognition approach », Journal of Business Ethics, 2009, 85, p. 157-171.
(7) L’exemple est de S.J. Reynolds, K. Leavitt, & K.A. DeCelles, « Automatic ethics: The effects of implicit assumptions and contextual cues on moral behavior », Journal of Applied Psychology, 2010, 95(4), p. 752-760.