Le droit disciplinaire, qui s’inscrit dans le droit répressif non pénal, a pris une grande importance dans la vie des affaires. Pour le comprendre, il suffit de se référer aux codes de déontologie des professions organisées en ordres (par exemple les experts comptables ou les architectes) ou des professions qui ne sont pas organisées en ordres mais disposent d’instances disciplinaires. Dans cet article, je prends un exemple typique, même s’il se situe en dehors de la vie des affaires : celui du pouvoir disciplinaire de la Fédération française de handball (FFHB), dont il a été largement question lors de la récente affaire des paris sportifs. J’évoquerai notamment l’autonomie du droit disciplinaire et le principe d’individualisation et de proportionnalité de la sanction, qui en est un principe essentiel. Le prochain article portera sur le principe « non bis in idem ». Il est utile de commencer par quelques considérations sur le pouvoir disciplinaire détenu par la FFHB. Il convient de noter tout d’abord que ce pouvoir disciplinaire provient d’une délégation du ministère chargé des sports. Celui-ci lui confie en effet « l’exécution de missions de service public et [lui] confère des prérogatives de puissance publique. » (Acteurs du sport). Dans ce cadre, et à propos des paris sportifs, la loi n° 2012-158 du 1er février 2012 visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs énonce que les fédérations sportives délégataires (dont la FFHB) « édictent également des règles ayant pour objet d’interdire aux acteurs des compétitions sportives (…) d’engager, directement ou par personne interposée, des mises sur des paris reposant sur la compétition à laquelle ils participent et de communiquer à des tiers des informations privilégiées, obtenues à l’occasion de leur profession ou de leurs fonctions, et qui sont inconnues du public » (art. 7 c). Il n’est donc pas étonnant que le règlement disciplinaire de la FFHB se réfère, en matière de paris sportifs, à la loi du 1er février 2012. L’article 84.3 portant sur les conflits d’intérêts relatifs aux « mises » (1) affirme ainsi que « les acteurs d’une compétition sportive, organisée ou autorisée par la FFHB ou la LNH [Ligue Nationale de Handball], ne peuvent engager sur ladite compétition, directement ou par personne interposée, de mises (…) dès lors qu’ils y sont intéressés, notamment du fait de leur participation directe ou d’un lien de quelque nature qu’il soit avec cette compétition sportive. (…) » L’article 84.5 décrit la portée du pouvoir de sanction de la FFHB en matière de paris sportifs : « Toute violation des dispositions du présent article 84 pourra entraîner l’engagement de poursuites disciplinaires et, le cas échéant, l’application de sanctions disciplinaires dans les conditions prévues à l’article 22 annexe 7 du règlement disciplinaire fédéral [en l’occurrence six matches de suspension]. » (2) Ces éléments d’arrière-plan permettent de comprendre la légitimité des déclarations sévères des responsables de la FFHB à propos de l’affaire des paris sportifs – par exemple celle de Joël Delplanque, président de la FFHB, rapportée dans un article de Libération du 2 octobre 2012 : « Ce sera tolérance zéro. Dès que nous aurons les éléments, nous prendrons les décisions pour que cette affaire soit traitée avec la plus grande fermeté » ; et celle de Claude Onesta, sélectionneur de l’équipe de France, à propos de deux joueurs internationaux impliqués dans « l’affaire du match présumé truqué » : « D’évidence, ils ont commis une erreur grave. Il faut qu’elle soit punie de manière exemplaire » (3). Ces déclarations s’inscrivent dans le cadre du pouvoir disciplinaire de la FFHB. En revanche, la déclaration de Rémy Lévy, président du MAHB (Montpellier agglomération handball), s’inscrit dans le cadre du pouvoir disciplinaire que possède tout employeur et qui est régi par le Code du travail : « Dans une procédure disciplinaire, on n’a pas besoin d’attendre les résultats de l’enquête si on a des éléments suffisants. Une faute grave permet de rompre un contrat de travail. » Dans un communiqué rendu public le 26 septembre, intitulé « Informations aux structures affiliées », la FFHB, conjointement avec la LNH, rappelle l’article 84.3 portant sur « les mises » cité ci-dessus avant de traiter, s’agissant du cas d’espèce, de l’importance de l’établissement des faits, de leur qualification, ou traduction, en termes disciplinaires, et du pouvoir de sanction de la fédération : « La FFHB et la LNH précisent qu’elles n’ont, à ce jour, à leur disposition que les seules informations diffusées par voie de presse. A ce stade et dans ces conditions, en l’absence d’éléments précis sur la nature des faits reprochés et les personnes incriminées, il est prématuré d’évoquer d’éventuelles suites disciplinaires. La FFHB et la LNH tiennent à ce titre à réaffirmer leur attachement indéfectible au principe fondamental de la présomption d’innocence et prendront leur responsabilité le moment venu pour traiter avec la plus grande fermeté les infractions qui auraient été caractérisées. » Quatre précisions de nature très différentes méritent d’être apportées. En premier lieu, qu’un joueur professionnel parie contre le succès de sa propre équipe (l’un des faits reprochés dans l’affaire des paris sportifs relatifs au handball) s’est déjà produit, comme le signale Michel Pautot, avocat au barreau de Marseille: « En 2004, deux joueurs de Saint-Helens (Angleterre, rugby à XIII) ont été sanctionnés pour avoir parié en ligne contre leur propre équipe » (« L’interdiction de parier des acteurs du sport »). Ensuite, le cas d’espèce, s’il s’avère tomber sous l’article 84 du règlement de la FFHB, concerne plus largement les valeurs du sport, c’est-à-dire un degré normatif plus général que celui d’un règlement disciplinaire. Ainsi, la Charte d’éthique et de déontologie du sport français, adoptée le 10 mai 1992 par le Comité National Olympique et Sportif Français, affirme que « la tricherie ou la manipulation des résultats introduit une rupture dans l’égalité des chances, porte atteinte à l’équité et à l’aléa sportif. (…) Tous les acteurs du sport doivent considérer comme un devoir moral le refus de toute forme de violence et de tricherie. » (4) Le troisième point a trait au fait que le droit disciplinaire est indépendant du droit civil et du droit pénal. Ce qui a pour effet que « le pénal ne tient pas le disciplinaire en l’état ». Comme le dit Julie Joly–Hurard dans un article de 2006 à propos du principe d’indépendance des répressions pénale et disciplinaire : « En vertu de ce principe, le déclenchement ou la poursuite de l’action disciplinaire n’est aucunement subordonné à celui ou celle de l’action pénale. En d’autres termes, action pénale et action disciplinaire peuvent se dérouler parallèlement sur la base de mêmes faits répréhensibles. Poursuite pénale et poursuite disciplinaire ne sont nullement exclusives l’une de l’autre, ce que le Conseil supérieur de la magistrature rappelle fréquemment : « il n’y a pas lieu de surseoir à statuer jusqu’à décision définitive sur les poursuites pénales » ; autrement dit, « le pénal ne tient pas le disciplinaire en l’état » » (5). Dans la mesure où, pour reprendre les mots de Jean-Charles Scotti, avocat, « la faute disciplinaire est autonome par rapport à la faute civile ou à la faute pénale » et que « l’action disciplinaire reste indépendante et ne fait pas obstacle aux poursuites engagées devant les juridictions civiles ou pénales », il n’est pas anormal que des responsables de la FFHB aient pu déclarer que des sanctions seraient prononcées si les faits étaient confirmés (« La faute déontologique »). Le dernier point concerne les trois principes essentiels du droit disciplinaire que la FFHB, comme toute instance disciplinaire, doit respecter. Ces principes contraignent le pouvoir de sanction disciplinaire. Il s’agit du principe de légalité de la peine, du principe de l’individualisation et de la proportionnalité de la sanction, et du principe du contradictoire. Ces trois principes sont clairement résumés dans le guide pratique de l’ESEN (Ecole supérieure de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche), « La sanction, un acte éducatif dans un cadre juridique rigoureux ». À propos du principe de l’individualisation et de la proportionnalité de la sanction, le guide indique que « toute sanction doit être individuelle. Elle doit être graduée en fonction de la gravité du manquement à la règle (…), et donc ne pas être majorée du fait d’un précédent » (6). Les propos de Claude Onesta sur la nécessité de sanctions « exemplaires » (si les faits en question sont avérés) et l’intention de « fermeté » figurant dans le communiqué de la FFHB (« traiter avec la plus grande fermeté les infractions qui auraient été caractérisées ») sont tout à fait compréhensibles, dans la mesure où le droit disciplinaire a pour fonction de garantir l’intégrité d’une communauté de professionnels. Mais s’ils devaient être appliqués, ils devraient nécessairement s’accorder avec le principe de l’individualisation et de la proportionnalité de la sanction. Alain Anquetil (1) « Un joueur ou un parieur en ligne s’entend de toute personne qui accepte un contrat d’adhésion au jeu proposé par un opérateur de jeux ou de paris en ligne. Toute somme engagée par un joueur, y compris celle provenant de la remise en jeu d’un gain, constitue une mise » (art. 10 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne). (2) L’article84.4 du règlement de la FFHB porte sur la divulgation d’informations :« Les acteurs d’une compétition sportive organisée ou autorisée par la FFHB ou la LNH ne peuvent communiquer à des tiers des informations privilégiées sur ladite compétition, obtenues à l’occasion de leur profession ou de leurs fonctions, en vue de réaliser ou de permettre de réaliser une opération de pari en ligne sur ladite compétition au sens des articles 4 et 10-1 de la loi n°2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, avant que le public ait connaissance de ces informations. » (3) Cf. l’article de Libération « Match présumé truqué – Onesta: « D’évidence ils ont commis une erreur grave », également publié le 2 octobre. Voir aussi « Claude Onesta : « Ils ont commis une erreur grave » », sur Hand-planet.com. Sur le plan disciplinaire, des positions ont été prises fin octobre par le MAHB (Montpellier agglomération handball) et l’équipe de France de handball (voir Le Figaro du 30 octobre) ; cf. aussi l’article du Monde du 25 octobre : « Handball : contrôle judiciaire levé, licenciements des joueurs en vue ». (4) On notera que la Charte ne mentionne pas expressément les manquements à l’honneur et à la probité, que l’on trouve exprimés par exemple dans l’article 724-1du Code de commerce : « Tout manquement d’un juge d’un tribunal de commerce à l’honneur, à la probité, à la dignité et aux devoirs de sa charge constitue une faute disciplinaire ». Mais elle s’y réfère peut-être implicitement au principe 1.1 qui décrit ce que signifie « avoir l’esprit sportif » : « Être respectueux du jeu, des règles, de soi-même, des autres et des institutions, sportives et publiques. Être honnête, intègre et loyal (…) ». (5) J. Joly–Hurard, « La responsabilité civile, pénale et disciplinaire des magistrats », Revue Internationale de Droit Comparé, 58(2), 2006, p. 439-475. (6) Sur ce principe, la fiche pratique du portail national des professionnels de l’éducation (éduscol) note qu’« il appartient à l’autorité disciplinaire d’apprécier au cas par cas si tel ou tel manquement (non-respect d’une obligation résultant d’une loi, d’un règlement ou d’un principe général) justifie qu’une sanction soit prononcée et laquelle. Ceci constitue une différence majeure avec le droit pénal dans lequel les éléments constitutifs d’une infraction sont précisément définis dans un article du code qui précise la peine maximale encourue. »