Un récent article du journal britannique The Guardian titrait : « Le travail des enfants dans les fermes Nestlé : les problèmes du géant du chocolat continuent » (« Child labour on Nestlé farms: chocolate giant’s problems continue », 2 septembre 2015).
Un observateur extérieur pourrait s’en étonner. En effet, la question du travail des enfants dans les exploitations produisant du cacao, spécialement celles qui se trouvent en Afrique de l’Ouest, a fait l’objet de différentes initiatives impliquant les industriels, en premier lieu le protocole Harkin-Engel (portant dans l’usage les noms du sénateur américain Tom Harkin et du député également américain Eliot Engel, mais intitulé « Protocole sur la culture et le traitement des fèves de cacao ») dont l’objectif est « l’élimination des pires formes de travail des enfants dans la culture et la transformation des fèves de cacao et de leurs produits dérivés » (1) conformément à la Convention 182 de l’Organisation International du Travail sur les pires formes de travail des enfants, adoptée en 1999. Les industriels concernés, dont Nestlé, ont adhéré en 2001 au protocole Harkin-Engel. Nestlé, en l’occurrence, a adopté en 2009 un plan cacao dont l’un des cinq objectifs est, selon ses termes, d’« améliorer et simplifier la chaîne d’approvisionnement en travaillant en étroite collaboration avec les coopératives de producteurs et [d’]augmenter leurs revenus ».
La question du travail des enfants est un objectif crucial. L’entreprise affirme ainsi que « Nestlé et ses partenaires ont annoncé qu’ils impliqueraient des communautés du pays dans le but d’éradiquer le travail des enfants dans les régions productrices de cacao en sensibilisant la population et en les formant, de sorte qu’ils puissent identifier les enfants à risque, et intervenir dès qu’un problème existe » (« Le Nestlé Cocoa Plan (Plan Cacao de Nestlé) assure un cacao plus “durable” »).
L’entreprise précise également qu’elle « mène des actions contre le travail des enfants en réponse au rapport de la Fair Labor Association sur la chaîne d’approvisionnement de la société ». L’ONG Fair Labor Association a récemment publié un rapport sur les exploitations qui fournissent Nestlé en fèves de cacao (« Independent external monitoring of Nestlé’s cocoa supply chain in Ivory coast: 2014-2015 »).
Il comporte un volet méthodologique, la mention des exploitations et coopératives auditées ainsi que du nombre et des catégories des personnes rencontrées, dont des enfants, enfin un résumé des résultats sous la forme d’un tableau présentant dans la colonne de gauche les constats de Fair Labor Association et dans la colonne de droite les actions correctrices proposées par Nestlé (intitulée « Summary of companies’ commitments (Corrective Action Plans) »). (3)
Dans cet article, je traite d’un problème pour ainsi dire adjacent : celui de l’usage du mot « problème », justement, dans un échantillon des énoncés relatifs à la question du travail des enfants dans les exploitations de Cacao. Au cours de leur lecture, une ambiguïté m’a semblé accompagner son usage et mériter un commentaire dans le cadre de ce blog. Pour des raisons de place, je vais laisser ouverte la question de la nature de cette (supposée) ambiguïté, en laissant le lecteur libre de son appréciation préalable. C’est dans le prochain billet que, sans prétendre apporter une solution définitive, je développerai mon argument. Voici quelques extraits dans lesquels le mot « problème » est cité de façon significative (5) :
Extraits du site de Nestlé
« Nestlé et ses partenaires s’engagent aux côtés des communautés locales en Côte d’Ivoire dans un nouvel effort pour empêcher le recours au travail des enfants dans les zones de culture du cacao, en menant des campagnes de sensibilisation, en formant les personnes à l’identification des enfants à risque, et en intervenant lorsqu’un problème survient. […] Selon le rapport [de la Fair Labor Association], pour élaborer une stratégie efficace d’élimination du problème, il faut commencer par travailler sur les attitudes et les perceptions des personnes qui interviennent dans la chaîne d’approvisionnement du cacao et des communautés dans lesquelles ces personnes vivent. […] [Nestlé] s’engage à travailler de manière plus rapprochée avec ses fournisseurs, ses partenaires de certification et les autres parties prenantes afin de garantir que les personnes qui interviennent dans la chaîne d’approvisionnement du cacao sont mieux formées sur la nature du problème du travail des enfants, et sur la manière d’y répondre. […] Nestlé a demandé à la FLA de schématiser sa chaîne d’approvisionnement de chocolat en Côte d’Ivoire. Nestlé s’engage à collaborer avec la FLA à long terme afin de répondre aux problèmes soulevés dans son rapport.» (Nestlé, « Nestlé mène des actions contre le travail des enfants en réponse au rapport de la Fair Labor Association sur la chaîne d’approvisionnement de la société »)
Extraits de l’article de The Guardian
« Le travail des enfants dans les fermes Nestlé : les problèmes du géant du chocolat continuent ». Citant Terry Collingsworth, un avocat spécialiste de la défense des droits de l’homme, à propos du rapport de la Fair Labor Association (FLA) : « Le rapport de la FLA, comme d’autres auparavant, montre que laisser les entreprises agir “volontairement” pour régler [clean up, qui signifie littéralement faire le ménage, voire arrêter] leur problème n’a pas marché et ne peut pas marcher. Il existe quantité d’options qui pourraient marcher, dont une surveillance vigoureuse réalisée par un vérificateur indépendant (independent monitor) disposant de l’autorité nécessaire pour décider de mesures correctrices. […] Ne faire rien de plus maintenant revient à laisser sans protection les enfants [qui travaillent dans les exploitations] jusqu’à ce que les actions en justice que nous avons entreprises soient instruites. Nous ne pouvons dire quand les procès auront lieu, mais on ne devrait pas tolérer que le traitement d’un problème soluble (resolvable problem) prenne encore du retard. » (4) (The Guardian, « Child labour on Nestlé farms: chocolate giant’s problems continue », 2015)
Extraits de l’article de Milkipress.fr
« Le droit international interdit et sanctionne bien évidemment le travail des enfants. C’est pourquoi les industriels, à l’image des deux géants suisses Nestlé et Barry Callebaut se sont engagés en 2001 à éradiquer le problème. Ils avaient signés cette année-là le protocole « Harkin-Engel », dont l’objectif était de mettre un terme à cet esclavage moderne. » (Milkipress.fr, « L’industrie du cacao, un empire fondé sur l’esclavage », 2013)
Extraits de l’article de LaPresse.ca
« L’isolement d’autres forêts, notamment dans le parc national de Taï, où a été tourné le film de Disney Chimpanzés, a permis à des fermiers d’exploiter illégalement des terres et d’utiliser une main-d’oeuvre mineure à l’abri des regards. Au Centre social de Duékoué, responsable de la protection de l’enfance dans la région, on gère le problème comme on peut. […] La lutte en est une de longue haleine. « Il faut changer les mentalités. Ça prend du temps, surtout pour une population pauvre et vulnérable », souligne M. Vigneault-Dubois. Le fermier moyen gagne environ 1500 $ par année, montant avec lequel il doit subvenir aux besoins de sa famille et de ses champs. Difficile de lui demander de s’attrister du sort d’enfants étrangers alors que le travail de ces enfants est nécessaire à sa propre survie. Et le problème ne se limite pas au cacao. […] « Pour mener à bien notre analyse, nous utilisons une série d’indices, dont les actions menées par les différents pays pour combattre le problème du travail des enfants, notamment l’éducation gratuite et obligatoire pour tous, et la façon dont les États répondent aux plaintes liées au travail des enfants » (Jason McGeown, porte-parole de Maplecroft, une « organisation, qui analyse les « risques environnementaux, sociaux et politiques » influençant le monde des affaires »). (LaPresse.ca, « Enfants exploités au pays du cacao », 2013)
Extrait de l’article de Novethic
« Avec une part de marché de près de 40%, [la Côte d’Ivoire] est le plus grand producteur mondial de cacao. Et y concentre les principaux problèmes liés à la fève de cacao : conditions de travail déplorables, travail des enfants et travail forcé, destruction de l’environnement, mais aussi baisse du rendement et de la qualité des récoltes. » (Novethic, « Le plan cacao de Nestlé sur la sellette », 2011)
Voici pour les données brutes où figurent le mot « problème », auxquelles j’essaierai de donner un éclairage dans le prochain article en insistant sur l’ambiguïté à laquelle j’ai fait référence. Alain Anquetil (1) D’après le site de l’ICI (International Cocao Initiative), qui précise : « Créée en 2002, International Cocao Initiative (ICI) est organisation leader en matière de promotion de la protection des enfants dans les communautés productrices de cacao. ICI travaille en collaboration avec l’industrie du cacao, la société civile et les gouvernements nationaux dans les pays producteurs afin d’assurer un avenir meilleur aux enfants et contribuer à éradiquer le travail des enfants. » (2) Voir sur le site de Nestlé « Le Nestlé Cocoa Plan (Plan Cacao de Nestlé) assure un cacao plus “durable” ». (3)
On trouvera bien sûr sur Internet quantité de documents relatifs à la question du travail des enfants dans les exploitations de Cacao, en particulier un article de Novethic (« Le plan cacao de Nestlé sur la sellette », 2011), LaPresse.ca (« Enfants exploités au pays du cacao », 2013) et Milkipress.fr (« L’industrie du cacao, un empire fondé sur l’esclavage », 2013), articles auxquels je fais référence plus loin. (4) « This FLA report, and others before it, show that allowing the companies to act ‘voluntarily’ to clean up their problem has not, and will not, work. There are lots of options that would work, including rigorous monitoring by an independent monitor who has authority to take corrective action. […] Doing nothing more now will leave the child workers unprotected until the litigation we have pursued is finally before a jury. We can’t say when that will be and should not accept more delay in addressing a resolvable problem. » (5) Je me suis exclusivement intéressé au mot « problème », mais le mot anglais « issue », qui est très présent par exemple dans le rapport de la Fair Labor Association (alors que le mot « problem » y est absent), a été ignoré.