L’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives est entrée en vigueur le 1er juillet 2014. Comme le dit le dossier thématique du Ministère de la justice, elle « vise à mieux lutter contre les difficultés des entreprises en favorisant la prévention, en simplifiant les procédures et en réduisant les délais de traitement ». C’est bien de prévention qu’il s’agit et non de la faillite elle-même. L’esprit du texte, qui prolonge celui des évolutions du droit de la faillite, met en exergue l’importance du caractère amiable des procédures.
Une telle approche est compatible avec l’idée selon laquelle le droit de la faillite a pour objectif de résoudre des problèmes de coordination entre les parties prenantes, en particulier les créanciers.
« Amiable » signifie, à côté du sens relatif à toute attitude amicale, « Qui se règle généralement par transaction, en dehors de toute procédure judiciaire » (CNRTL). Dans le cas qui nous intéresse ici, il ne faut pas comprendre « en dehors de toute procédure judiciaire », mais avant les procédures de faillite proprement dites, qui entrent en action après que l’entreprise a déclaré une cessation de paiement. Les deux procédures de prévention des faillites en vigueur dans le droit français sont le mandat ad hoc et la conciliation. Elles obéissent au même principe : « permettre une négociation confidentielle et à l'amiable des dettes. Pour ce faire, le débiteur est assisté par un mandataire ad hoc ou un conciliateur désignés par le Président du Tribunal de commerce » (Greffe du tribunal de commerce de Paris).
Un article du Monde du 30 juin 2014, « L’État retouche le droit pour endiguer la montée des faillites », met en exergue l’importance de la recherche d’un accord entre les créanciers et les actionnaires de l’entreprise qui est en difficulté ou prévoit des difficultés sans toutefois se trouver en cessation de paiement. L’article note d’abord qu'en France « l’essor des conciliations et des mandats ad hoc [...] est spectaculaire. En 2013, quelque 3 421 entreprises ont discrètement demandé au président de leur tribunal de commerce la nomination d’un conciliateur ou d’un mandataire ad hoc ». Dans ce contexte, l’ordonnance sur la prévention des entreprises en difficulté qui entre en application au 1er juillet apparaît opportune puisqu’elle vise « justement à « favoriser les procédures de prévention » pour endiguer la montée des faillites, [...] avec une idée centrale : plus les problèmes sont pris tôt, plus les chances de succès sont élevées. »
Une deuxième idée centrale caractérise ces procédures : « Le principe est simple. Le mandataire [dans le cas du mandat ad hoc] ou le conciliateur [dans le cas de la conciliation] doit d’abord établir un état des lieux [qui vise à évaluer le passif net de l’entreprise]. Il met actionnaires et créanciers autour d’une table pour analyser les difficultés puis faire émerger une solution. » Soit dit en passant, on notera que la discussion entre les parties prenantes, telle que l’article du Monde la décrit, comprend une analyse des difficultés de l’entreprise. Elle peut être considérée comme un point de passage obligé mais elle signifie aussi, de façon significative, que l’intérêt de l’entreprise est au centre de la discussion, avant les intérêts des créanciers considérés individuellement. Concentrer l’attention des parties prenantes sur l’intérêt de l’entreprise et non sur les intérêts de chacun des créanciers peut être interprété comme le souhait que les délibérants se pensent comme des coopérateurs plutôt que des porte-paroles de leurs droits.
C’est ainsi que, dans le même esprit, l’article du Monde précise que, selon l’ordonnance du 1er juillet, « les clauses des contrats qui aggraveraient la situation de l’entreprise en cas de mandat ad hoc sont « réputées non écrites » : plus question pour les banques de profiter de la situation pour relever automatiquement leurs taux d’intérêt ». Autrement dit, les procédures de prévention visent à limiter l’action opportuniste de créanciers passagers clandestins ou free riders qui pourraient tirer parti de la situation pour satisfaire au mieux leurs intérêts. Le droit de la prévention des faillites vise à assurer une juste coopération entre les parties.
Ces considérations correspondent à l’approche proposée en particulier par Alan Schwartz, professeur de droit américain à la Yale Law School (1). Selon Schwartz, « le droit de la faillite a pour objectif de résoudre les problèmes de coordination entre les créanciers ». Les procédures collectives prévues dans les systèmes de droits sur la faillite résolvent un problème de coordination en prévoyant des mécanismes rendant possible la réorganisation de l’entreprise en difficulté. Ce problème de coordination naît de trois causes : la diversité des créanciers (État, organismes sociaux, autres créanciers privilégiés, créanciers chirographaires, c’est-à-dire ne disposant d’aucun privilège particulier), qui génère des intérêts conflictuels ; le risque, sous une hypothèse de rationalité, que les créanciers ne s’intéressent qu’au remboursement de leur créance ; enfin le fait que, même s’ils souhaitaient se coordonner, les créanciers soient découragés par le niveau des coûts de coordination (ou, en termes plus techniques, de coalition), des coûts d'autant plus élevés que le créanciers sont nombreux.
Or, si chaque créancier recherche égoïstement (mais légitimement, étant titulaire d’un droit) le remboursement de sa créance, toute entreprise défaillante ou en passe de l'être sera systématiquement liquidée, quand bien même elle aurait pu poursuivre son activité grâce à une restructuration. Il en résulte que les dispositions légales régissant la prévention des faillites doivent avoir un caractère contraignant pour les parties prenantes sans que cela ait pour effet de décourager la coopération entre les créanciers et sans non plus que cette coopération implique de les déposséder de leur pouvoir de décision (car la procédure de prévention conserve un caractère amiable).
La coopération entre les créanciers, du moins un certain type de coopération, contribue à résoudre le problème de coordination évoqué précédemment. Toutefois, le site du Ministère de la justice (à la page Mieux prévenir les difficultés des entreprises) n’emploie pas le mot « coopération », il fait usage d’autres mots dénotant la participation des créanciers dans la procédure, notamment leur « implication » (il est écrit à propos d’une disposition particulière de l’ordonnance du 12 mars 2014 : « L’ordonnance renforce aussi l’implication des créanciers en leur permettant dans certaines hypothèses de proposer des projets de plan de redressement, soumis au tribunal concurremment avec celui élaboré par le débiteur » : je mets les italiques). Le terme « coopération », qui signifie « aide, entente entre les membres d'un groupe en vue d'un but commun » (CNRTL), si peu utilisé s’agissant de la coopération entre les créanciers dans le cadre du droit de la faillite, y aurait pourtant sa place.
Alain Anquetil
(1) A. Schwartz, « A Contract Theory Approach to Business Bankruptcy », The Yale Law Journal, 107(6), 1998, p. 1807-1851.